Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/338

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la voyoient. Ils s’estimoient dès lors, et s’aimoient mutuellement. Elle avoit la confiance de tout le monde, dans les plus grandes affaires comme dans les plus petites. Tout ce qu’elle pensoit étoit bien pensé ; tout ce qu’elle disoit étoit bien dit ; tout ce qu’elle faisoit étoit bien fait ; et Mlle de Lenclos supérieure, en quelque sorte, aux plus grands génies, étoit toujours la plus révérée32. »

Quelle est la femme du dix-septième siècle qui a inspiré un tel langage à ses contemporains, aux témoins de sa vie ? On demeure confondu, quand on lit ces paroles d’un homme grave et honnête, et qu’on se souvient de celles de Mme de Motteville, qui, à la vérité, n’avoit ni vu, ni entendu Ninon de Lenclos, lorsqu’elle en parloit si lestement.

Mlle de Lenclos touchoit alors, tout comme Saint-Évremond au terme de la vie. Les dernières lettres qu’ils ont échangées sont ravissantes. Il lui mandoit, à quatre-vingt-dix ans : « La dernière lettre que je reçois de Mlle de Lenclos me semble toujours la meilleure ; et ce n’est point que le sentiment du plaisir présent l’emporte sur le souvenir du passé ; la véritable raison est que votre esprit se fortifie tous les jours.... Vous êtes de tous les pays : aussi estimée à Londres qu’à Paris. Vous êtes de tous les temps ; et quand je vous allègue, pour faire honneur au mien, les jeunes gens vous nomment, pour donner l’avantage au leur. Vous voilà maîtresse du présent et du passé. Puissiez-vous avoir des droits considérables sur l’avenir ! Je n’ai pas en vue la réputation ; elle vous est assurée dans tous les temps. Je regarde une chose plus essentielle ;


32. Douxménil, loc. cit., page 104 suiv.