Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/35

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vie entière, comme aujourd’hui ; et le service des armées permanentes n’étoit point ce qu’il est devenu. En quartier d’hiver, peu d’officiers restoient au régiment. Ils revenoient dans leurs foyers, et le monde et la guerre avoient ainsi chacun leur temps ; la noblesse partageoit son année entre les salons et les camps. La guerre avoit sa saison, le salon avoit la sienne. Les gentilshommes entroient en campagne au printemps, livroient des combats, assiégeoient des places ; et retournoient, l’hiver, cultiver leurs affections et leur esprit, dans leurs châteaux ou dans la société parisienne. Telle étoit alors la vie de la noblesse françoise. Pendant les mois de trêve, elle s’adonnoit aux arts de l’intelligence, et aux relations du monde ; et, les mois de la guerre revenus, elle couroit batailler aux frontières, enflammée de l’amour de la gloire, et de l’ambition de la renommée. Tous les rapports sociaux se ressentaient de ce mélange de préoccupations, chez les hommes comme chez les femmes.

On comprend sans peine quelle supériorité d’esprit un jeune homme aussi bien élevé, aussi bien préparé, que l’étoit Saint-Évremond, dut porter dans l’exercice de la profession militaire ; et quelle influence, à son tour, la vie indépendante des camps, l’habitude journalière des privations et des périls, dut exercer sur une âme qui avoit reçu de la nature même un rare talent. Cette admirable école de l’ancien officier françois a fourni aux lettres Brantôme, Descartes, la Rochefoucauld, Bussy-Rabutin, Saint-Évremond, Saint-Simon, Vauvenargues, Tracy ; sans compter Malherbe, Racan, Parny, et bien d’autres.