Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est pas là qu’est la gloire de Saint-Évremond. Ce qui le distingue éminemment, c’est sa prose ; c’est l’admirable équilibre de son jugement dans le choc des opinions ; c’est le tour constamment spirituel, quoique un peu travaillé, de sa pensée ; c’est son langage, qui, malgré l’art qu’il révèle, n’emprunte jamais qu’une expression simple ; c’est la délicatesse de son goût, qui tire son charme de la délicatesse du sentiment ; c’est la finesse de sa critique, laquelle arrive mainte fois à une raison supérieure ; c’est enfin une certaine qualité d’esprit politique, qu’on ne trouve que chez lui au dix-septième siècle. Il y a tel chapitre de ses Réflexions sur les divers génies du peuple romain, que Bossuet ou Montesquieu n’ont point surpassé. Quelle impartialité profonde, dans sa lettre à M. Justel, sur les affaires religieuses du temps ! Voyez encore un ouvrage de lui presque inconnu : Son Discours sur les historiens françois. Quelle précision d’analyse ! quel sens profond ! quelle sûreté de trait quand il dessine les caractères des capitaines contemporains, et qu’il expose le rôle de la passion dans les affaires humaines ! Il y a là des pages qui rappellent la manière du cardinal de Retz, auquel il n’est pas inférieur ; sans parler de ce vrai chef-d’œuvre de la Retraite de M. de Longueville, qui, pas plus que la Conversation du maréchal d’Hocquincourt, n’a rien de plus élégant dans notre langue.

Saint-Évremond, en partant pour l’exil, a laissé la réputation d’un gentilhomme indépendant, que son éducation et son esprit avoient fait homme de lettres. Mais quelle différence entre Saint-Évremond et l’homme de lettres, proprement dit, du dix-sep-