Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/93

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dans les salons, bien avant que le gros du public fût admis à les connoître. L’auteur, à cette époque, employoit la presse avec discrétion, et la circulation manuscrite d’une œuvre littéraire précédoit le plus souvent sa circulation imprimée. La publicité restreinte est aussi la seule qu’aient connue les anciens, et l’esprit humain n’y a pas beaucoup perdu. Un mode pareil et si réservé de production n’est que la représentation fidèle des habitudes et de l’esprit du dix-septième siècle.

À partir de Montaigne, les gros volumes sont abandonnés aux gens qu’il avoit nommés des pédants ; on en publia beaucoup encore : toutefois le nombre en diminua chaque jour. Après avoir enlevé la littérature proprement dite à cet effrayant format, on essaya de lui arracher l’histoire. Le cardinal de Retz, Sarrazin, et après eux Saint-Réal et Vertot écrivirent de petits volumes qui sont restés d’agréables lectures. Racine mit, en quelques pages, l’Histoire de Port-Royal, qui est une perle littéraire ; l’abbé Fleury, une petite Histoire du droit français, que nos lourdes publications sont encore condamnées à délayer. La vraie littérature de ce temps étoit folliculaire. Tout Boileau a paru de cette façon, et en pièces détachées. Les grands seigneurs, hommes de lettres, faisoient désirer pendant dix ans l’impression de leurs ouvrages, et le public attendoit patiemment. Les libraires étoient alors aux genoux de cette qualité d’auteurs, ou de ces auteurs de qualité. Ô siècle d’or !

Dans le développement graduel et caractérisé de l’urbanité françoise, Saint-Évremond personnifie un progrès de délicatesse, de bon ton, de goût et de rai-