Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son. Quelle distance du gentil Voiture, comme on l’appeloit, au chevalier de Saint-Évremond ! mais ce que celui-ci représente, surtout, c’est l’esprit critique du grand monde de son temps : esprit poli, discret et fin, qui voit de haut et d’un œil juste, qui ne commerce qu’avec gens de facile entendement et de bonnes manières ; esprit que la même idée ne captive pas longtemps ; avec lequel il faut surtout être clair et résumé ; qu’on attache par des traits vifs, prompts, rapides. Nous en avons un modèle remarquable dans ce petit chef-d’œuvre de Saint-Évremond, intitulé : Lettre à M. le maréchal de Créqui, qui m’avoit demande en quelle situation étoit mon esprit, et ce que je pensois sur toutes choses, en ma vieillesse1. Toutes les applications de l’intelligence y sont successivement et brièvement appréciées ; c’est une revue encyclopédique des connoissances humaines, réduite en quelques feuilles d’impression, écrite avec une liberté d’esprit, avec une originalité de jugement, et une finesse de touche, d’autant plus faites pour nous plaire qu’elles s’allient avec la simplicité même du langage. Ouvrage exquis de la critique françoise ! style et manière inimitables, qu’on ne retrouve plus jusqu’à Voltaire !

Saint-Évremond débutoit en ce genre de compositions, dès 1647, entre le siège de Dunkerque et la campagne de Catalogne, près de dix ans avant les Lettres provinciales, dans trois légères compositions, fine fleur de la littérature de salon, dont la première est le manifeste d’une opinion philosophique


1. Voy. infra, pag. 85 et suiv.