Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/148

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alloient d’ordinaire ensemble, ne se fût jamais mis dans l’esprit ce vaste dessein de la conquête de l’Asie.

Il est à croire que César, dont la conduite étoit si fine et si cachée, qu’il entra dans toutes les conspirations, sans être accusé qu’une seule fois, et jamais convaincu ; lui qui, dans les divisions qu’il fit naître entre les Gaulois, secouroit les uns, pour opprimer les autres, et les assujettir tous à la fin : il est à croire, dis-je, que ce même César, suivant son génie, auroit soumis ses voisins, et divisé toutes les républiques de la Grèce, pour les assujettir pleinement. Et certes, avoir quitté la Macédoine sans espérance de retour, avoir laissé des voisins mal affectionnés, la Grèce quasi soumise, mais peu affermie dans la sujétion ; avec trente-cinq mille hommes, soixante-dix mille talens6, et peu de vivres, avoit cherché un roi de Perse que les Grecs appeloient le grand roi, et dont les simples lieutenants sur les frontières faisoient trembler tout le monde ; c’est ce qui passe l’imagination, et quelque chose de plus que si aujourd’hui la république de Gênes, celles de Lucques et de Raguse entreprenoient la conquête de la France. Si César avoit dé-


6. Qui font 390 000 francs de notre monnoie. Si c’étoient des talents d’or, il faut compter dix fois plus.