Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/155

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conduire à son intérêt, ou à sa raison. On n’a guère vu, en personne, tant d’égalité dans la vie, tant de modération dans la fortune, tant de clémence dans les injures. Ces impétuosités qui coûtèrent la vie à Clitus ; ces soupçons mal éclaircis qui causèrent la perte de Philotas, et qui, à la honte d’Alexandre, traînèrent ensuite comme un mal nécessaire la mort de Parménion ; tous ces mouvements étaient inconnus à César. On ne peut lui reprocher de mort que la sienne, pour n’avoir pas eu assez de soin de sa propre conservation.

Aussi faut-il avouer que, bien loin d’être sujet aux désordres de sa passion, il fut le plus agissant homme du monde, et le moins ému : les grandes, les petites choses le trouvaient dans son assiette, sans qu’il parût s’élever pour celles-là, ni s’abaisser pour celles-ci. Alexandre n’étoit proprement dans son naturel qu’aux extraordinaires. S’il falloit courir, il vouloit que ce fût contre des rois. S’il aimoit la chasse, c’étoit celle des lions. Il avoit peine à faire un présent qui ne fût digne de lui. Jamais si résolu, jamais si gai que dans l’abattement des troupes ; jamais si constant, si assuré que dans leur désespoir. En un mot, il commençoit à se posséder pleinement où les hommes d’ordinaire, soit par la crainte, soit par quelqu’autre faiblesse, ont accoutumé de ne se posséder