Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/329

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héros ; dans Lucain, les héros valent des dieux.

Pour vous dire mon véritable sentiment : je crois que la tragédie des anciens auroit fait une perte heureuse, en perdant ses dieux avec ses oracles et ses devins.

C’étoit par ces dieux, ces oracles, ces devins, qu’on voyoit régner au théâtre un esprit de superstition et de terreur, capable d’infecter le genre humain de mille erreurs, et de l’affliger encore de plus de maux. Et à considérer les impressions ordinaires que faisoit la tragédie, dans Athènes, sur l’âme des spectateurs, on peut dire que Platon étoit mieux fondé pour en défendre l’usage, que ne fut Aristote pour le conseiller ; car la tragédie consistant, comme elle faisoit, aux mouvements excessifs de la crainte et de la pitié : n’étoit-ce pas faire du théâtre une école de frayeur et de compassion, où l’on apprenoit à s’épouvanter de tous les périls, et à se désoler de tous les malheurs ?

On aura de la peine à me persuader qu’une âme accoutumée à s’effrayer, sur ce qui regarde les maux d’autrui, puisse être dans une bonne assiette, sur les maux qui la regardent elle- même. C’est peut-être par là que les Athéniens devinrent si susceptibles des impressions de la peur, et que cet esprit d’épouvanté, in-