Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/345

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trop considéré le caractère, lorsqu’il falloit avoir de grands égards pour la passion. Mais, quand une passion est connue généralement de tout le monde, c’est là qu’il faut donner le moins qu’on peut au caractère.

En effet, si vous aviez à dépeindre Antoine depuis qu’il fut abandonné à son amour, vous ne le dépeindriez pas avec les belles qualités que la nature lui avoit données. Antoine, amoureux de Cléopâtre, n’est pas l’Antoine ami de César. D’un homme brave, audacieux, entreprenant, il s’en est fait un foible, mou et paresseux ; d’un homme qui n’avoit manqué en rien, ni à son intérêt, ni à son parti, il s’en est fait un qui s’est manqué à lui-même, et qui s’est perdu.

Horace, que j’ai allégué, forme un caractère de la vieillesse, qu’il nous prescrit de garder fort soigneusement. Si nous avons quelque vieillard à représenter, il veut que nous le dépeignions amassant du bien, et s’abstenant de celui qu’il peut avoir amassé ; que nous le dépeignions froid, timide, chagrin, peu satisfait du présent, et grand donneur de louanges à tout ce qu’il a vu dans sa jeunesse5. Mais, si vous avez à représenter un vieillard fort amoureux, vous ne lui donnerez ni froideur, ni


5. Horat., de Arte Poet., v. 166 et suiv.