Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/429

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jamais homme de bon sens ne lui donnera la qualité de vaste. On dit qu’une mémoire est heureuse, qu’elle est fidèle, qu’elle est propre à recevoir et à garder les espèces : mais il n’est pas venu à ma connoissance qu’on l’ait nommée vaste qu’une fois10, à mon avis, mal à propos. Vaste se peut appliquer à une imagination qui s’égare, qui se perd, qui se forme des visions, et des chimères.

Je n’ignore pas qu’on a prétendu louer Aristote, en lui attribuant un génie vaste. On a cru que cette même qualité de vaste étoit une grande louange pour Homère. On dit qu’Alexandre, que Pyrrhus, que Catilina, que César, que Charles-Quint, que le cardinal de Richelieu, ont eu l’Esprit vaste : mais si on prend la peine de bien examiner tout ce qu’ils ont fait, on trouvera que les beaux ouvrages, que les belles actions doivent s’attribuer aux autres qualités de leur esprit, et que les erreurs et les fautes doivent être imputées à ce qu’ils ont eu de vaste. Ils ont eu ce vaste, je l’avoue : mais ç’a été leur vice, et un vice qui ne leur est pardonnable, qu’en considération de leurs vertus. C’est une erreur de notre jugement, de faire leur mérite d’une chose qui ne peut être excusée que par indulgence : s’ils n’étoient presque toujours grands, on ne leur permettroit


10. Dans Patru.