Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/506

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tient son extravagance fabuleuse, par la beauté du discours, et par une infinité de connoissances exquises qui l’accompagnent. Celui de la chevalerie décrédite encore la folle invention de sa fable, par le ridicule du style dont il semble se revêtir.

Mais, quoi qu’il en soit, le fabuleux du poëme a engendré celui de la chevalerie ; et il est certain que les diables et les enchanteurs causent moins de mal en celui-ci, que les dieux et leurs ministres en celui-là. La déesse des arts, de la science, de la sagesse, inspire une fureur insensée au plus brave des Grecs[1], et ne lui laisse recouvrer le sens qu’elle lui a ôté que pour le rendre capable d’une honte qui le porte à se tuer lui-même, par désespoir. La plus grande et la plus prude des immortelles favorise de honteuses passions, et facilite de criminelles amours[2]. La même déesse emploie toutes sortes d’artifices pour perdre des innocents, qui ne devroient se ressentir en rien de son courroux. Il ne lui suffit pas d’épuiser son pouvoir, et celui des dieux, qu’elle a sollicités pour perdre Énée, elle corrompt le dieu du sommeil, pour endormir infidèlement Palinure, et faire en sorte qu’il pût tomber dans

  1. Ajax, fils de Telamon.
  2. Junon, dans l’Énéïde.