Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/613

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pour faire une chaîne, pourquoi composeront-ils plutôt une substance véritable, que s’ils avaient des ouvertures pour se pouvoir quitter l’un l’autre ?

Il se peut que pas une des parties de la chaîne ne touche l’autre et même ne l’enferme point et que néanmoins elles soient tellement entrelacées, qu’à moins de se prendre d’une certaine manière, on ne les saurait séparer, comme dans la figure ci-jointe ; dira-t-on, en ce cas, que la substance du composé de ces choses est comme en suspens et dépend de l’adresse future de celui qui les voudra déjoindre ? Fictions de l’esprit partout, et tant qu’on ne discernera point ce qui est véritablement un être accompli, ou bien une substance, on n’aura rien à quoi on se puisse arrêter, et c’est là l’unique moyen d’établir des principes solides et réels. Pour conclusion, rien ne se doit assurer sans fondement ; c’est donc à ceux qui font des êtres et des substances sans une véritable unité de prouver qu’il y a plus de réalité que ce que nous venons de dire, et j’attends la notion d’une substance ou d’un être qui puisse comprendre toutes ces choses, après quoi et les parties et peut-être encore les songes y pourront un jour prétendre, à moins qu’on ne donne des limites bien précises à ce droit de bourgeoisie qu’on veut accorder aux êtres formés par agrégation.

Je me suis étendu sur ces matières, afin que vous puissiez juger non seulement de mes sentiments, mais encore des raisons qui m’ont obligé de les suivre, que je soumets à votre jugement, dont je connais l’équité et l’exactitude. J’y soumets aussi ce que vous aurez trouvé dans les Nouvelles de la République des lettres, pour servir de réponse à M.  l’abbé Catelan, que je crois habile homme, après ce que vous en dites ; mais ce qu’il a écrit contre M.  Huygens et contre moi fait voir qu’il va un peu vite. Nous verrons comment il en usera maintenant.

Je suis ravi d’apprendre le bon état de votre santé, et en souhaite la continuation avec tout le zèle et de toute la passion qui fait que je suis,

Monsieur,
Votre, etc.

P. S. Je réserve, pour une autre fois, quelques autres matières que vous avez touchées dans votre lettre.