Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/722

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corps humains. Il est même impossible qu’il n’y en ait partout.

Jusqu’ici nous n’avons parlé que de ce que peut une substance bornée, mais à l’égard de Dieu c’est bien autre chose ; et bien loin que ce qui a paru impossible d’abord le soit en effet, il faut dire plutôt qu’il est impossible que Dieu en use autrement, étant comme il est, infiniment puissant et sage, et gardant en tout l’ordre et l’harmonie, autant qu’il est possible. Mais, qui plus est, ce qui paraît si étrange quand on le considère détaché est une conséquence certaine de la constitution des choses ; de sorte que le merveilleux universel fait cesser et absorbe, pour ainsi dire, le merveilleux particulier, puisqu’il en rend raison. Car tout est tellement réglé et lié, que ces machines de la nature, qui ne manquent point, qu’on compare à des vaisseaux, et qui iraient au port d’eux-mêmes, malgré tous les détours et toutes les tempêtes, ne sauraient être jugées plus étranges qu’une fusée qui coule le long d’une corde, ou qu’une liqueur qui court dans un canal. De plus, les corps n’étant pas des atomes, mais étant divisibles et divisés même à l’infini, et tout en étant plein, il s’ensuit que le moindre petit corps reçoit quelque impression du moindre changement de tous les autres, quelque éloignés et petits qu’ils soient, et doit être ainsi un miroir exact de l’univers ; ce qui fait qu’un esprit assez pénétrant pour cela pourrait, à mesure de sa pénétration, voir et prévoir dans chaque corpuscule ce qui se passe et se passera dans ce corpuscule et au dehors. Ainsi rien n’y arrive, pas même par le choc des corps environnants, qui ne suive de ce qui est déjà interne, et qui en puisse troubler l’ordre. Et cela est encore plus manifeste dans les substances simples, ou dans les principes actifs mêmes, que j’appelle des entéléchies primitives avec Aristote, et que, selon moi, rien ne saurait troubler. C’est pour répondre à une note marginale de M. Bayle où il m’objecte qu’un corps organique étant « composé de plusieurs substances, dont chacune a un principe d’action, réellement distinct du principe de chacune des autres, et l’action de chaque principe étant spontanée, cela doit varier à l’infini les effets ; et le choc des corps voisins doit mêler quelque contrainte à la spontanéité naturelle de chacun ». Mais il faut considérer que c’est de tout temps que l’un s’est déjà accommodé à tout autre, et se porte à ce que l’autre exigera de lui. Ainsi il n’y a de la contrainte dans les substances qu’au dehors et dans les apparences, et cela est si vrai, que le mouvement de quelque point qu’en puisse prendre dans le monde se fait dans une