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nouveaux essais sur l’entendement

nuant dans l’esprit, soit que l’objet externe continue ou non, et même soit qu’il s’y trouve ou non, c’est considération ; laquelle tendant à la connaissance sans rapport à faction sera la contemplation. L’attention, dont le but est d’apprendre (c’est-à-dire d’acquérir des connaissances pour les garder), c’est étude. Considérer pour former quelque plan, c’est méditer ; mais rêver paraît n’être autre chose que suivre certaines pensées par le plaisir qu’on y prend sans y avoir d’autre but, c’est pourquoi la rêverie peut mener à la folie : on s’oublie, on oublie le dic cur hic, on approche des songes et des chimères, on bâtit des châteaux en Espagne. Nous ne saurions distinguer les songes des sensations que parce qu’ils ne sont pas liés avec elles, c’est comme un monde à part. Le sommeil est une cessation des sensations, et de cette manière l’extase est un fort profond sommeil, dont on a de la peine à être éveillé, qui vient d’une cause interne passagère, ce qui s’ajoute pour exclure ce sommeil profond, qui vient d’un narcotique ou de quelque lésion durable des fonctions, comme dans la léthargie. Les extases sont accompagnées de visions quelquefois ; mais il y en a aussi sans extases, et la vision, ce semble, n’est autre chose qu’un songe qui passe pour une sensation, comme s’il nous apprenait la vérité des objets. Et, lorsque ces visions sont divines, il y a de la vérité en effet, ce qui peut se connaître par exemple quand elles contiennent des prophéties particularisées que l’événement justifie.

§ 4. Ph. Des différents degrés de contention ou de relâchement d’esprit, il s’ensuit que la pensée est l’action et non l’essence de l’âme.

Th. Sans doute, la pensée est une action et ne saurait être l’essence ; mais c’est une action essentielle, et toutes les substances en ont de telles. J’ai montré ci-dessus que nous avons toujours une infinité de petites perceptions sans nous en apercevoir. Nous ne sommes jamais sans perceptions, mais il est nécessaire que nous soyons souvent sans aperceptions, savoir lorsqu’il n’y a point de perceptions distinguées. C’est faute d’avoir considéré ce point important qu’une philosophie relâchée, et aussi peu noble que peu solide, a prévalu auprès de tant de bons esprits, et que nous avons ignoré presque jusqu’ici ce qu’il y a de plus beau dans les âmes. Ce qui a fait aussi qu’on a trouvé tant d’apparence dans cette erreur qui enseigne que les âmes sont d’une nature périssable.