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des idées

de nos idées. Mais pour revenir à l’inquiétude, c’est-à-dire aux petites sollicitations imperceptibles, qui nous tiennent toujours en haleine, ce sont des déterminations confuses, en sorte que souvent nous ne savons pas ce qui nous manque, au lieu que dans les inclinations et les passions, nous savons au moins ce que nous demandons, quoique les perceptions confuses entrent aussi dans leur manière d’agir et que les mêmes passions causent aussi cette inquiétude ou démangeaison. Ces impulsions sont comme autant de petits ressorts qui tâchent de se débander et qui font agir notre machine. Et j’ai déjà remarqué ci-dessus que c’est par là que nous ne sommes jamais indifférents, lorsque nous paraissons l’être le plus, par exemple de nous tournera la droite plutôt qu’à la gauche au bout d’une allée ; car le parti que nous prenons vient de ces déterminations insensibles, mêlées des actions des objets et de l’intérieur du corps qui nous fait trouver plus à notre aise dans l’une que dans l’autre manière de nous remuer. On appelle unruhe en allemand, c’est-à-dire inquiétude, le balancier[1] d’une horloge. On peut dire qu’il en est de même dans notre corps qui ne saurait jamais être parfaitement à son aise, parce que, quand il le serait, une nouvelle impression des objets, un petit changement dans les organes, dans les vases et dans les viscères, changera d’abord la balance et les fera faire quelque petit effort pour se remettre dans le meilleur état qu’il se peut ; ce qui produit un combat perpétuel, qui fait, pour ainsi dire, l’inquiétude de notre horloge, de sorte que cette appellation est assez à mon gré.

§ 6. Ph. La joie est un plaisir que l’âme ressent, lorsqu’elle considère la possession d’un bien présent ou futur comme assurée ; et nous sommes en possession d’un bien lorsqu’il est de telle sorte en notre pouvoir que nous en pouvons jouir quand nous voulons.

Th. On manque dans les langues de paroles assez propres pour distinguer des notions voisines. Peut-être que le latin gaudium approche davantage de cette définition de la joie que lætitia, qu’on traduit aussi par le mot de joie ; mais alors elle me paraît signifier un état où le plaisir prédomine en nous, car pendant la plus profonde tristesse et au milieu des plus cuisants chagrins on peut prendre quelque plaisir comme de boire ou d’entendre la musique, mais le déplaisir prédomine ; et de même au milieu des plus aiguës douleurs l’esprit peut être dans la joie, ce qui arrivait aux martyrs.

  1. Gehrardt : le balancer.