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des idées

le pur néant ; au lieu de se mettre dans l’état de l’homme de bien qui n’a à craindre que le néant et qui a une éternelle félicité à espérer. J’ai évite de parler de la certitude ou de la probabilité de l’état à venir, parce que je n’ai d’autre dessein en cet endroit que de montrer le faux jugement dont chacun se doit reconnaître coupable selon ses propres principes.

Th. Les méchants sont fort portés à croire que l’autre vie est impossible. Mais ils n’en ont point de raison que celle qu’il faut se borner à ce qu’on apprend par les sens et que personne de leur connaissance n’est revenu de l’autre monde. Il y avait un temps que sur le même principe on pouvait rejeter les Antipodes, lorsqu’on ne voulait point joindre les mathématiques aux notions populaires, et on le pouvait avec autant de raison qu’on en peut avoir maintenant pour rejeter l’autre vie, lorsqu’on ne veut point joindre la vraie métaphysique aux notions ide l’imagination. Car il y a trois degrés des notions ou idées, savoir : notions populaires, mathématiques et métaphysiques. Les premières ne suffisaient pas pour faire croire les antipodes ; les premières et les secondes ne suffisent point encore pour faire croire l’autre monde. Il est vrai quelles fournissent déjà des conjectures favorables, mais si les secondes établissaient certainement les antipodes avant l’expérience qu’on en a maintenant (je ne parie pas des habitants, mais de la place au moins que la connaissance de la rondeur de la terre leur donnait chez les géographes et les astronomes), les dernières ne donnent pas moins de certitude sur une autre vie, dès à présent et avant qu’on y soit allé voir.

§ 72. Ph. Maintenant revenons à la puissance, qui est proprement le sujet général de ce chapitre, la liberté n’en étant qu’une espèce, mais des plus considérables. Pour avoir des idées, plus distinctes de la puissance, il ne sera ni hors de propos ni inutile de prendre une plus exacte connaissance de ce qu’on nomme action. J’ai dit, au commencement de notre discours sur la puissance, qu’il n’y a que deux sortes d’actions dont nous avons quelque idée, savoir le mouvement et la pensée.

Th. Je croirais qu’on pourrait se servir d’un mot plus général que de celui de pensée, savoir de celui de perception, en n’attribuant la pensée qu’aux esprits, au lieu que la perception appartient à toutes les entéléchies[1]. Mais je ne veux pourtant contester à per-

  1. Les entéléchies, pour Leihniz sont les substances actives ou monades ; ce n’est pas tout à fait le sens d’Aristote. P. J.