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introduction

indivisibles ? l’un et l’autre sont susceptibles de modalités figurées ou de figures géométriques déterminées. On fera peut-être valoir que dans l’espace plein les particules sont mobiles et peuvent se déplacer ; nous retomberons alors dans le cas précédent, et nous demanderons en quoi ces particules mobiles se distinguent des particules immobiles d’espace dans lesquelles elles se meuvent. Enfin, les cartésiens comme les atomistes seront obligés de reconnaître que le plein ne se distingue du vide que par la résistance, la solidité, le mouvement, l’activité, en un mot la force.

À ceux qui reprochent à la conception leibnizienne de trop idéaliser la matière, on peut répondre que la matière prise en soi est nécessairement idéale et supra-sensible. Sans doute il ne faut pas dire que le corps n’est qu’un ensemble de modifications subjectives. L’idéalisme de Berkeley est un idéalisme superficiel qui ne supporte pas l’examen ; car, lorsque j’aurai réduit l’univers tout entier à n’être qu’un rêve de mon esprit et un prolongement de moi-même, il restera encore à savoir d’où me vient ce rêve et quelles sont les causes qui produisent en moi une hallucination aussi compliquée ; ces causes sont en dehors de ma conscience, et elles me débordent de tous côtés ; ce serait donc très improprement que je les appellerais moi-même ; car le moi est rigoureusement ce dont j’ai conscience. Le moi de Fichte, qui vient à se choquer contre soi-même et qui crée ainsi le non-moi, n’est qu’un détour compliqué et artificiel, pour dire, sous une forme paradoxale, qu’il y a un non-moi. Tout au plus pourrait-on conjecturer avec l’idéalisme absolu que le moi et le non-moine sont que les cieux faces d’un seul et même être qui les enveloppe l’un et l’autre dans une activité infinie ; mais nous voilà bien loin de l’idéalisme de Berkeley.

Pour en revenir à celui de Leibniz, je crois qu’on peut démontrer à priori, que la matière prise en soi est une chose idéale et supra-sensible, pour ceux-là du moins qui admettent une intelligence divine. Dieu, en effet (on en tombera aisément d’accord), ne peut pas connaître la matière par le