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nouveaux essais sur l’entendement

Virgile (lib. I Æneid, vers. 464), et Cicéron : Nihil habet natura præstantius quam honestatem, quam laudem, quam dignitatem, quam decus. (Quæst. Tuscul. lib. II, c. 20), et il ajoute un peu après : Hisce ego pluribus nominibus unam rem declarari volo.

Th. Il est vrai que les anciens ont désigne la vertu par le nom de l’honnête, comme lorsqu’ils ont loué incoctum generoso pcctus honesto. Et il est vrai aussi que l’honnête a son nom de l’honneur ou de la louange. Mais cela veut dire non pas que la vertu est ce qu’on loue, mais qu’elle est ce qui est digne de louange, et c’est ce qui dépend de la vérité et non pas de l’opinion.

Ph. Plusieurs ne pensent pas sérieusement à la loi de Dieu ou espèrent qu’ils se réconcilieront un jour avec celui qui en est l’auteur, et à l’égard de la loi de l’État, ils se flattent de l’impunité. Mais on ne pense point que celui qui fait quelque chose de contraire aux opinions de ceux qu’il fréquente, et à qui il veut se rendre recommandable, puisse éviter la peine de leur censure et de leur dédain. Personne à qui il peut rester quelque sentiment de sa propre nature, ne peut vivre en société constamment méprise ; et c’est la force de la loi de la réputation ;

Th. J’ai déjà dit que ce n’est pas tant la peine d’une loi qu’une peine naturelle que l’action s’attire d’elle-même. Il est vrai cependant que bien des gens ne s’en soucient guère, parce qu’ordinairement, s’ils sont méprisés des uns à cause de quelque action blâmée, ils trouvent des complices, ou au moins des partisans, qui ne les méprisent point s’ils sont tant soit peu recommandables par quelque autre côté. On oublie même les actions les plus infâmes, et souvent il suffit d’être hardi et effronté comme ce Phormion de Térence pour que tout passe. Si l’excommunication faisait naître un véritable mépris constant et général, elle aurait la force de cette loi, dont parle notre auteur ; et elle avait en effet cette force chez les premiers chrétiens et leur tenait lieu de juridiction, dont ils manquaient pour punir les coupables ; à peu près comme les artisans maintiennent certaines coutumes entre eux malgré les lois par le mépris qu’ils témoignent pour ceux qui ne les observent point. Et c’est ce qui a maintenu aussi les duels contre les ordonnances. Il serait in souhaiter que le public s’accordât avec soi-même et avec la raison dans les louanges et dans les blâmes ; et que les grands surtout ne protégeassent point les méchants en riant des mauvaises actions, où il semble le plus souvent que ce n’est pas celui qui les a faites, mais celui qui