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nouveaux essais sur l’entendement

formes substantielles[1], nous serions comme un aveugle qui voudrait ranger les corps selon les couleurs. § 11. Nous ne connaissons pas même les essences des esprits, nous ne saurions former des différentes idées spécifiques des anges, quoique nous sachions bien qu’il faut qu’il y ait plusieurs espèces des esprits. Aussi semble-t-il que dans nos idées nous ne mettons aucune différence entre Dieu et les esprits par aucun nombre d’idées simples, excepté que nous attribuons à Dieu l’infinité.

Th. Il y a encore une autre différence dans mon système entre Dieu et les esprits créés, c’est qu’il faut à mon avis que tous les esprits créés aient des corps, tout connue notre âme en a un.

§ 12. Ph. Au moins je crois qu’il y a cette analogie entre les corps et les esprits que, de même qu’il n’y a point de vide dans les variétés du monde corporel, il n’y aura pas moins de variété dans les créatures intelligentes. En commençant depuis nous et allant jusqu’aux choses les plus basses, c’est une descente qui se fait par de fort petits degrés et par une suite continue de choses, qui dans chaque éloignement diffèrent fort peu l’une de l’autre. Il y a des poissons qui ont des ailes, et à qui l’air n’est pas étranger, et il y a des oiseaux qui habitent dans l’eau qui ont le sang froid comme les poissons, et dont la chair leur ressemble si fort par le goût, qu’on permet aux scrupuleux d’en manger durant les jours maigres. Il y a des animaux qui approchent si fort de l’espèce des oiseaux et de celle des bêtes, qu’ils tiennent le milieu entre eux. Les amphibies tiennent également des bêtes terrestres et aquatiques. Les veaux marins vivent sur la terre et dans la mer ; et les marsouins (dont le nom signifie pourceau de mer) ont le sang chaud et les entrailles d’un cochon. Pour ne pas parler de ce qu’on rapporte des hommes marins, il y a des bêtes qui semblent avoir autant de connaissance et de raison que quelques animaux qu’on appelle hommes ; et il y a une si grande proximité entre les animaux et les végétaux, que, si vous prenez le plus imparfait de l’un et le plus parfait de l’autre, à peine remarquerez-vous aucune différence considérable entre eux.

  1. Forme substantielle, forma substantialis ou essentialis, appelée aussi par les scolastiques quidditas, quid erat esse (τὸ τὶ ἧν εἶναι), est ce principe qui constitue, selon Aristote, la forme ou l’essence des choses : c’est le principe constitutif de l’espèce et l’objet de la définition. Voir le Synopsis analytica doctrinæ peripatetiæ de Duval dans son édition d’Aristote, 4 vol. in-8o, Paris, 1639, t. IV, pp. 23-31, et Dictionnaire des sciences philosophiques (Paris, 1845), L. II. P. J.