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nouveaux essais sur l’entendement

quoiqu’il n’y ait point d’apparence externe qui ne soit fondée dans la constitution interne, il est vrai néanmoins qu’une même apparence pourrait résulter quelquefois de deux différentes constitutions : cependant il y aura quelque chose de commun, et c’est ce que nos philosophes appellent la cause prochaine formelle. Mais, quand cela ne serait point, comme si, selon M. Mariotte, le bleu de l’arc-en-ciel avait tout une autre origine que le bleu d’une turquoise, sans, qu’il y eût une cause formelle commune (en quoi je ne suis pas de son sentiment), et quand on accorderait que certaines natures apparentes, qui nous font donner des noms, n’ont rien d’intérieur commun, nos définitions ne laisseraient pas d’être fondées dans les espèces réelles : car les phénomènes mêmes sont des réalités. Nous pouvons donc dire que tout ce que nous distinguons ou comparons avec vérité, la nature le distingue ou le fait convenir aussi, quoiqu’elle ait des distinctions et des comparaisons que nous ne savons point et qui peuvent être meilleures que les nôtres. Aussi faudra-t-il encore beaucoup de soin et d’expérience, pour assigner les genres et les espèces d’une manière assez approchante de la nature. Les botanistes modernes croient que les distinctions prises des formes des fleurs approchent le plus de l’ordre naturel. Mais ils y trouvent pourtant encore bien de la difficulté, et il serait à propos de faire des comparaisons et arrangements non seulement suivant un seul fondement, comme serait celui que je viens de dire, qui est pris des fleurs, et qui peut-être est le plus propre jusqu’ici pour un système tolérable et commode à ceux qui apprennent, mais encore suivant les autres fondements pris des autres parties et circonstances des plantes[1] ; chaque fondement de comparaison méritant des tables à part ; sans quoi on laissera échapper bien des genres subalternes, et bien des comparaisons, distinctions et observations utiles. Mais, plus on approfondira la génération des espèces, et plus on suivra dans les arrangements les conditions qui y sont requises, plus on approchera de l’ordre naturel. C’est pourquoi, si la conjecture de quelques personnes entendues se trouvait véritable, qu’il y a dans la plante, outre la graine ou la semence connue qui répond à l’œuf de l’animal, une autre semence qui mériterait le nom de masculine, c’est-à-dire une poudre (pollen) visible bien souvent,

  1. Voilà le principe de la subordination des caractères, qui, appliqué pour la première fois par de Jussieu, est devenu le fondement des classifications naturelles. P. J.