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nouveaux essais sur l’entendement

pieds de haut, dont la peau est couverte de quelque chose qui tient le milieu entre la plume et le poil, d’un brun obscur, sans ailes, mais qui, au lieu d’ailes, a deux ou trois petites branches, semblables à des branches de genêts, qui lui descendent au bas du corps avec de longues et grosses jambes, des pieds armés seulement de trois griffes et sans queue, je suis obligé de faire cette description par où je puis me faire entendre aux autres. Mais, quand on m’a dit que cassiowaris est le nom de cet animal, je puis alors me servir de ce nom pour désigner dans le discours toute cette idée composée.

Th. Peut-être qu’une idée bien exacte de la couverture de la peau, ou de quelque autre partie, suffirait toute seule à discerner cet animal de tout autre connu, comme Hercule se faisait connaître par le pas qu’il avait fait, et comme le lion se reconnaît à l’ongle, suivant le proverbe latin. Mais plus on amasse de circonstances, moins la définition est provisionnelle.

§ 35. Ph. Nous pouvons retrancher de l’idée dans ce cas sans préjudice de la chose : mais, quand la nature en retranche, c’est une question si l’espèce demeure. Par exemple : s’il y avait un corps qui eût toutes les qualités de l’or excepté la malléabilité, serait-il de l’or ? Il dépend des hommes de le décider. Ce sont donc eux qui déterminent les espèces des choses.

Th. Point du tout, ils ne détermineraient que le nom. Mais cette expérience nous apprendrait que la malléabilité n’a pas de connexion nécessaire avec les autres qualités de l’or prises ensemble. Elle nous apprendrait donc une nouvelle possibilité et par conséquent une nouvelle espèce. Pour ce qui est de l’or aigre ou cassant, cela ne vient que des additions et n’est point consistant avec les autres épreuves de l’or ; car la coupelle et l’antimoine lui ôtent cette aigreur.

§ 36. Ph. Il s’ensuit quelque chose de notre doctrine qui paraîtra fort étrange. C’est que chaque idée abstraite, qui a un certain nom, forme une espèce distincte. Mais que faire à cela, si la nature le veut ainsi ? Je voudrais bien savoir pourquoi un bichon et un lévrier ne sont pas des espèces aussi distinctes qu’un épagneul et un éléphant.

Th. J’ai distingué ci-dessus les différentes acceptions du mot espèce. Le prenant logiquement et mathématiquement plutôt, la moindre dissimilitude peut suffire. Ainsi chaque idée différente peut donner une autre espèce, et il n’importe point si elle a un nom ou non. Mais, physiquement parlant, on ne s’arrête pas à toutes les variétés, et l’on