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nouveaux essais sur l’entendement

§ 18. Ph. Les noms des idées simples sont moins sujets à équivoque, et on se méprend rarement sur les termes de blanc, amer, etc.

Th. Il est vrai pourtant que ces termes ne sont pas entièrement exempts d’incertitude ; et j’ai déjà remarqué l’exemple des couleurs limitrophes qui sont dans les confins de deux genres et dont le genre est douteux.

§ 19. Ph. Après les noms des idées simples, ceux des modes simples sont les moins douteux, connue par exemple ceux des figures et des nombres. Mais § 20, les modes composés et les substances causent tout l’embarras. § 21. On dira qu’au lieu d’imputer ces imperfections aux mots, il faut plutôt les mettre sur le compte de notre entendement : mais je réponds que les mots s’interposent tellement entre notre esprit et la vérité des choses, qu’on peut comparer les mots avec le milieu au travers duquel passent les rayons des objets visibles, qui répand souvent des nuages sur nos yeux ; et je suis tenté de croire que, si l’on examinait plus à fond les imperfections du langage, la plus grande partie des disputes tomberait d’elle même, et que le chemin de la connaissance et peut-être de la paix serait plus ouvert aux hommes.

Th. Je crois qu’on en pourrait venir à bout dès à présent dans les discussions par écrit, si les hommes voulaient convenir de certains règlements et les exécuter avec soin. Mais, pour procéder exactement de vive voix et sur-le-champ, il faudrait du changement dans le langage. Je suis entré ailleurs dans cet examen.

§ 22. Ph. En attendant la réforme qui ne sera pas prête sitôt, cette incertitude des mots nous devrait apprendre à être modérés, surtout quand il s’agit d’imposer aux autres le sens que nous attribuons aux anciens auteurs : puisqu’il se trouve dans les auteurs grecs que presque chacun d’eux parle un langage différent.

Th. J’ai été plutôt surpris de voir que des auteurs grecs si éloignés les uns des autres à l’égard des temps et des lieux, comme Homère, Hérodote, Strabon, Plutarque, Lucien, Eusèbe, Procope, Photius s’approchent tant ; au lieu que les Latins ont tant changé, et les Allemands, Anglais et Français bien davantage. Mais c’est que les Grecs ont eu dès le temps d’Homère, et plus encore lorsque la ville d’Athènes était dans un état florissant, de bons auteurs que la postérité a pris pour modèles au moins en écrivant. Car sans doute la langue vulgaire des Grecs devait être bien changée déjà sous la