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des mots

certaines paraboloïdes cubiques. Ainsi en considérant auparavant ces perles comme une espèce particulière, on n’en avait que des connaissances provisionnelles. Si cela peut arriver en géométrie, s’étonnera-t-on qu’il est difficile de déterminer les espèce de la nature corporelle, qui sont incomparablement plus composées ?

§ 22. Ph. Passons au sixième abus pour continuer le dénombrement commencé, quoique je voie bien qu’il en faudrait retrancher quelques-uns. Cet abus général mais peu remarqué, c’est que les hommes ayant attaché certaines idées à certains mots par un long usage, s’imaginent que cette connexion est manifeste et que tout le monde en convient. D’où vient qu’ils trouvent fort étrange, quand on leur demande la signification des mots qu’ils emploient, lors même que cela est absolument nécessaire ? Il y a peu de gens qui ne le prissent pour un, affront, si on leur demandait ce qu’ils entendent en parlant de la vie. Cependant l’idée vague qu’ils en peuvent avoir ne suffit pas lorsqu’il s’agit de savoir si une plante qui est déjà formée dans la semence, à vie, ou un poulet qui est dans un œuf qui n’a pas encore été couvé, ou bien un homme en défaillance, sans sentiment ni mouvement. Et, quoique les hommes ne veulent pas paraître si peu intelligents ou si importuns que d’avoir besoin de demander l’explication des termes dont on se sert, ni critiques si incommodes pour reprendre sans cesse les autres de l’usage qu’ils font des mots, cependant., lorsqu’il s’agit d’une recherche exacte, il faut venir à l’explication. Souvent les savants de différents partis, dans les raisonnements qu’ils étalent les uns contre les autres, ne font que parler différents langages, et pensent la même chose, quoique peut-être leurs intérêts soient différents.

Th. Je crois m’être expliqué assez sur la notion de la vie qui doit toujours être accompagnée de perception dans l’âme ; autrement ce ne sera qu’une apparence, comme la vie que les sauvages de l’Amérique attribuaient aux montres ou horloges, ou qu’attribuaient aux marionnettes ces magistrats qui les crurent animées par des démons, lorsqu’ils voulurent punir comme sorcier celui qui avait donné ce spectacle le premier dans leur ville.

§ 23. Ph. Pour conclure, les mots servent : 1o pour faire entendre nos pensées ; 2o pour le faire facilement ; et 3o pour donner entrée dans la connaissance des choses. On manque au premier point, lorsqu’on n’a point l’idée déterminée et constante des mots, ni reçue ou entendue par les autres. § 23. On manque à la facilité,