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des mots

plaire ; mais dans le fond, excepté l’ordre et la netteté, tout l’art de la rhétorique toutes ces applications artificielles et figurées des mots ne servent qu’à insinuer de fausses idées, émouvoir les passions et séduire le jugement, de sorte que ce ne sont que de pures supercheries. Cependant c’est à cet art fallacieux qu’on donne le premier rang et les récompenses. C’est que les hommes ne se soucient guère de la vérité, et aiment beaucoup à tromper et être trompés. Cela est si vrai, que je ne doute pas que ce que je viens de dire contre cet art né soit regardé comme l’effet d’une extrême audace. Car l’éloquence, semblable au beau sexe, a des charmes trop puissants pour qu’on puisse être admis à s’y opposer.

Th. Bien loin de blâmer votre zèle pour la vérité, je le trouve juste. Et il serait à souhaiter qu’il pût toucher. Je n’en désespère pas entièrement parce qu’il semble, Monsieur, que vous combattez l’éloquence par ses propres armes, et que vous en avez même une d’une autre espèce, supérieure à cette trompeuse, comme il y avait une Vénus Uranie, mère du divin amour, devant laquelle cette autre Vénus bâtarde, mère d’un amour aveugle, n’osait paraître avec son enfant aux yeux bandés[1]. Mais cela prouve que votre thèse a besoin de quelque modération, et que certains ornements de l’éloquence sont comme les vases des Égyptiens dont on se pouvait servir au culte du vrai Dieu. Il en est comme de la peinture et de la musique dont on abuse, et dont l’une représente souvent des imaginations grotesques et même nuisibles, et l’autre amollit le cœur : et toutes deux amusent vainement, mais elles peuvent être employées utilement, l’une pour rendre la vérité claire, l’autre pour la rendre touchante, et ce dernier effet doit être aussi celui de la poésie qui tient de la rhétorique et de la musique.

Chap. XI. — Des remèdes qu’on peut apporter aux imperfections et aux abus dont on vient de parler.

§ 1. Ph. Ce n’est pas le lieu ici de s’enfoncer dans cette discussion de l’usage d’une vraie éloquence, et encore moins de répondre votre compliment obligeant, puisque nous devons penser à finir cette matière des mots, en cherchant les remèdes aux imperfections que

  1. Voir le Banquet de Platon.