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nouveaux essais sur l’entendement

Au reste, il est vrai qu’une grande pratique fait beaucoup pour discerner à la vue ce qu’un autre peut savoir à peine par des essais difficiles. Et des médecins d’une grande expérience, qui ont la vue et la mémoire fort bonnes, connaissent souvent au premier aspect du malade ce qu’un autre lui arrachera à peine à force d’interroger et de tâter le pouls. Mais il est bon de joindre ensemble tous les indices qu’on peut avoir.

§ 22. Ph. J’avoue que celui à qui un bon essayeur fera connaître toutes les qualités de l’or en aura une meilleure connaissance que la vue ne saurait donner. Mais, si nous pouvions en apprendre la constitution intérieure, la signification du mot or serait aussi aisément déterminée que celle du triangle,

Th. Elle serait tout aussi déterminée et il n’y aurait plus rien de provisionnel ; mais elle ne serait pas si aisément déterminée. Car je crois qu’il faudrait une distinction un peu prolixe pour expliquer la contexture de l’or, comme il y a même en géométrie des figures dont la définition est longue.

§ 23. Ph. Les esprits séparés des corps ont sans doute des connaissances plus parfaites que nous, quoique nous n’ayons aucune notion de la manière dont ils les peuvent acquérir. Cependant ils pourront avoir des idées aussi claires de la constitution radicale des corps que celle que nous avons d’un triangle.

Th. Je vous ai déjà marqué, Monsieur, que j’ai des raisons pour juger qu’il n’y a point d’esprits créés, entièrement séparés des corps ; cependant il y en a sans doute dont les organes et l’entendement sont incomparablement plus parfaits que les nôtres et qui nous passent en toute sorte de conceptions autant et plus que M. Frenicle[1], ou ce garçon suédois dont je vous ai parlé, passent le commun des hommes dans le calcul des nombres fait par imagination.

§ 24. Ph. Nous avons déjà remarqué que les définitions des substances qui peuvent servir à expliquer les noms sont imparfaites par rapport à la connaissance des choses. Car ordinairement nous mettons le nom à la place de la chose ; donc le nom dit plus que les définitions ; ainsi pour bien définir les substances, il faut étudier l’histoire naturelle.

  1. Frenicle, arithméticien célèbre du xviie siècle, qui, sans le secours de l’algèbre, résolvait les plus grandes difficultés ; reçu à l’Académie des Sciences en 1666 et mort e 1675. Sa méthode, qui a été découverte après sa mort dans ses papiers, n’est plus aujourd’hui qu’un objet de curiosité. P. J.