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l’entendement humain

apporte. J’avoue qu’on a de la peine à faire que les hommes s’aperçoivent distinctement de ces notions métaphysiques, car les abstractions et les réflexions leur coûtent. Mais on peut avoir en soi ce qu’on a de la peine à y distinguer. Il faut cependant quelque autre chose que l’idée de l’identité pour déterminer la question, qu’on propose ici, savoir : Si Euphorbe et Pythagore[1], et le coq même, où l’âme de Pythagore logeait pour quelque temps, ont toujours été le même individu, et il ne s’ensuit point que ceux qui ne la peuvent point résoudre, n’ont point d’idée de l’identité. Qu’y a-t-il de plus clair que les idées de géométrie ? Cependant, il y a des questions qu’on n’a pas encore pu décider. Mais celle qui regarde l’identité de Pythagore suivant la fiction de sa métempsychose n’est pas des plus impénétrables.

Pour ce qui est de l’idée de Dieu, on allègue les exemples de quelques nations, qui n’en ont eu aucune connaissance. Mons Fabritius[2], théologien fort éclairé du feu électeur palatin Charles-Louis, a publié l’Apologie du genre humain contre l’accusation de l’athéisme, où il répond à des passages tels qu’on cite ici. Mais je n’entre point dans cette discussion. Suppose qu’il y ait des hommes, et même des peuples qui n’aient jamais pensés à Dieu, on peut dire que cela prouve seulement qu’il n’y a point eu d’occasion suffisante pour réveiller en eux l’idée de la substance suprême.

Avant de passer aux principes complexes ou vérités primitives, je dirai que je demeure d’accord que la connaissance ou bien l’envisagement actuel des idées et des vérités n’est point né avec nous, et qu’il n’est point nécessaire que nous les ayons connues distinctement autrefois, selon la réminiscence de Platon. Mais, l’idée étant prise pour l’objet immédiat interne d’une notion, ou de ce que les logiciens appellent un terme incomplexe, rien ne l’empêche

  1. Pythagore, célèbre philosophe grec, dont la vie ne nous est connue que par des récits plus ou moins légendaires. On fixe sa naissance de 560 à 580 avant Jésus-Christ, et sa mort vers l’an 500. Il paraît être né à Samos, et avait beaucoup voyagé, quoiqu’un grand nombre de ces voyages soient fort douteux. Il fonda à Crotone, dans la Grande-Grèce, une école célèbre, versée surtout dans les mathématiques et dans la musique. On lui attribue la découverte du fameux théorème du carré de l’hypoténuse, et celle des rapports mathématiques des intervalles musicaux. Il ne parait pas avoir rien écrit ; et tout ce que nous avons sous son nom est apocryphe.
  2. Fabrice ou Fabritius (Jean-Louis), professeur à Heidelberg, savant théologien qu’il ne faut pas confondre avec le célèbre bibliographe (Jean-Albert), naquit à Schaffouse en 1632, mourut à Francfort en 1697. — On a de lui une Apologia generis humani contra calumniam atheismi, et plusieurs autres ouvrages théologiques.