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nouveaux essais sur l’entendement

Ph. C’est bien une autre difficulté de savoir si un être purement matériel pense ou non ; et peut-être ne serons-nous jamais capables de le connaître, quoique nous ayons les idées de la matière et de la pensée, par la raison qu’il nous est impossible de découvrir par la contemplation de nos propres idées, sans la révélation, si Dieu n’a point donné à quelques amas de matière, disposés comme il le trouve à propos, la puissance d’apercevoir et de penser, ou s’il n’a pas uni et joint à la matière, ainsi disposée, une substance immatérielle qui pense. Car, par rapport à nos notions, il ne nous est pas plus malaisé de concevoir que Dieu peut, s’il lui plaît, ajoutera notre idée de la matière la faculté de penser, que de comprendre qu’il y joigne une autre substance avec la faculté de penser, puisque nous ignorons en quoi consiste la pensée, et a quelle espèce de substance cet être tout-puissant a trouvé à propos d’accorder cette puissance, qui ne saurait être dans aucun être créé qui en vertu du bon plaisir et de la bonté du Créateur.

Th. Cette question sans doute est incomparablement plus importante que la précédente ; mais j’ose vous dire, Monsieur, que je souhaiterais qu’il fût aussi aisé de toucher les âmes pour les porter à leur bien, et de guérir les corps de leurs maladies, que je crois qu’il est en notre pouvoir de la déterminer. J’espère que vous l’avouerez au moins, que je le puis avancer sans choquer la modestie et sans prononcer en maître au défaut de bonnes raisons ; car, outre que je ne parle que suivant le sentiment reçu et commun, je pense d’y avoir apporté une attention non commune. Premièrement je vous avoue, Monsieur, que, lorsqu’on n’a que des idées confuses de la pensée et de la matière, comme l’on en a ordinairement, il ne faut pas s’étonner si l’on ne voit pas le moyen de résoudre de telles questions. C’est comme j’ai remarqué un peu auparavant, qu’une personne qui n’a des idées des angles d’un triangle que de la manière qu’on les a communément, ne s’avisera jamais de trouver qu’ils sont toujours égaux à deux angles droits. Il faut considérer que la matière, prise pour un être complet (c’est-à-dire la matière seconde opposée à la première qui est quelque chose de purement passif, et par conséquent incomplet), n’est qu’un amas, ou ce qui en résulte, et que tout amas réel suppose des substances simples ou des unités réelles ; et, quand on considère encore ce qui est de la nature de


    Provinces-Unies. Jean de Witt a laissé des Elemenlta linearum curcarum, Leyde, 1650. P. J.