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nouveaux essais sur l’entendement

même. Par exemple les Grecs et les Romains et tous les autres peuples de la terre connue aux anciens ont toujours remarqué qu’avant le décours de vingt-quatre heures le jour se change en nuit, et la nuit en jour. Mais on se serait trompé si l’on avait cru que la même règle s’observe partout ailleurs, puisque depuis on a expérimenté le contraire dans le séjour de Nova Zembla. Et celui-là se tromperait encore, qui croirait que dans nos climats au moins, c’est une vérité nécessaire et éternelle qui sera toujours, puisqu’on doit juger que la terre et le soleil même n’existent pas nécessairement, et qu’il y aura peut-être un temps où ce bel astre ne sera plus, au moins en sa présente forme, ni tout son système. D’où il paraît que les vérités nécessaires, telles qu’on les trouve dans les mathématiques pures et particulièrement dans l’arithmétique et dans la géométrie doivent avoir des principes, dont la preuve ne dépende point des exemples, ni par conséquent du témoignage des sens, quoique sans les sens on ne se serait jamais avisé d’y penser. C’est ce qu’il faut bien distinguer, et c’est ce qu’Euclide a si bien compris qu’il démontre souvent par la raison ce qui se voit assez par l’expérience et par les images sensibles. La logique encore avec la métaphysique et la morale, dont l’une forme la théologie et l’autre la jurisprudence, naturelles toutes deux, sont pleines de telles vérités ; et par conséquent leur preuve ne peut venir que des principes internes, qu’on appelle innés. Il est vrai qu’il ne faut point s’imaginer qu’on puisse lire dans l’âme ces éternelles lois de la raison à livre ouvert, come l’édit du Préteur se lit sur son album sans peine et sans recherche ; mais c’est assez qu’on les peut découvrir en nous à force d’attention, à quoi les occasions sont fournies par les sens ; et le succès des expériences sert encore de confirmation à la raison, à peu près comme les épreuves servent dans l’arithmétique pour mieux éviter l’erreur du calcul quand le raisonnement est long. C’est aussi en quoi les connaissances des hommes et celles des bêtes sont différentes. Les bêtes sont purement empiriques et ne font que se régler sur les exemples ; car elles n’arrivent jamais à former des propositions nécessaires, autant qu’on en peut juger, au lieu que les hommes sont capables des sciences démonstratives. C’est pour cela que la faculté, que les bêtes ont, de faire des consécutions, est quelque chose d’inférieur à la raison, qui est dans les hommes. Les consécutions des bêtes sont purement comme celles des simples empiriques, qui prétendent que ce qui est arrivé quelquefois arrivera encore dans un cas, où ce qui