Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

davantage l’effet. V. A. S. est un prince souverain, et cependant elle a montré à mon égard une modération que j’ai admirée. Et M. Arnaud est un théologien fameux, que les méditations des choses divines devraient avoir rendu doux et charitable ; cependant ce qui vient de lui paraît souvent fier et farouche et plein de dureté. Je ne m’étonne pas maintenant s’il s’est brouillé si aisément avec le P. Malebranche et autres qui étaient fort de ses amis. Le Père Malebranche avait publié des écrits que M. Arnaud a traité d’extravagants, à peu près comme il fait à mon égard, mais le monde n’a pas toujours été de son sentiment. Il faut cependant que l’on se garde bien d’irriter son humeur bilieuse. Cela nous ôterait tout le plaisir et toute la satisfaction que j’avais attendue d’une collation douce et raisonnable. Je crois qu’il a reçu mon papier quand il était en mauvaise humeur, et que, se trouvant importuné par là, il s’en a voulu venger par une réponse rebutante. Je sais que, si V. A. S. avait le loisir de considérer l’objection qu’il me fait, elle ne pourrait s’empêcher de rire, en voyant le peu de sujet qu’il y a de faire des exclamations si tragiques ; à peu près comme on rirait en écoutant un orateur qui dirait a tout moment : 0 cælum, o terra, o maria Neptuni ! Je suis heureux s’il n’y a rien de plus choquant ou de plus difficile dans mes pensées que ce qu’il objecte. Car, selon lui, si ce que je dis est vrai (savoir que la notion ou considération individuelle d’Adam enferme tout ce qui lui arrivera et à sa postérité), il s’ensuit, selon M. Arnaud, que Dieu n’aura plus de liberté maintenant à l’égard du genre humain. Il s’imagine donc Dieu comme un homme qui prend des résolutions selon les occurrences ; au lieu que Dieu, prévoyant et réglant toutes choses de toute éternité, a choisi de prime abord toute la suite et connexion de l’univers, et par conséquent non pas un Adam tout simple, mais un tel Adam, dont il prévoyait qu’il ferait de telles choses et qu’il aurait de tels enfants, sans que cette providence de Dieu réglée de tout temps soit contraire à sa liberté. De quoi tous les théologiens (a la réserve de quelques Sociniens qui conçoivent Dieu d’une manière humaine) demeurent d’accord. Et je m’étonne que l’envie de trouver je ne sais quoi de choquant dans mes pensées, dont la prévention avait fait naître en son esprit une idée confuse et mal digérée, a porté ce savant homme à parler contre ses propres lumières et sentiments. Car je ne suis pas assez peu équitable pour l’imiter et pour lui imputer le dogme dangereux de ces Sociniens, qui détruit la souve-