Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/544

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possibles un Adam possible accompagné de telles circonstances individuelles, et qui entre autres prédicats et aussi celui d’avoir avec le temps une telle postérité. Il y a donc, selon vous, une liaison intrinsèque pour parler ainsi, et indépendante de tous les décrets libres de Dieu entre cet Adam possible et toutes les personnes individuelles de toute sa postérité, et non seulement les personnes, mais généralement tout ce qui leur devait arriver. Or c’est, Monsieur, je ne vous dissimule point, ce qui m’est incompréhensible. Car il me semble que vous voulez que l’Adam possible (que Dieu a choisi préférablement à d’autres Adams possibles) a eu liaison avec toute la même postérité que l’Adam crée : n’étant selon vous, autant que j’en puis juger, que le même Adam considéré tantôt comme possible et tantôt comme créé. Or, cela supposé, voici ma difficulté :

Combien y a-t-il d’hommes qui ne sont venus au monde que par des décrets très libres de Dieu, comme Isaac, Samson Samuel et tant d’autres ? Lors donc que Dieu les a connus conjointement avec Adam, ce n’a pas été parce qu’ils étaient enfermés dans la notion individuelle de l’Adam possible indépendamment des décrets de Dieu. Il n’est donc pas vrai que toutes les personnes individuelles de la postérité d’Adam aient été enfermées dans la notion individuelle d’Adam possible, puisqu’il aurait fallu qu’elles y eussent été enfermées indépendamment des décrets divins.

On peut dire la même chose d’une infinité d’événements humains qui sont arrivés par des ordres très particuliers de Dieu, comme entre autres la religion judaïque et chrétienne, et surtout l’incarnation du Verbe divin. Je ne sais comment on pourrait dire que tout cela était enfermé dans la notion individuelle de l’Adam possible ? Ce qui est considéré comme possible, devant avoir tout ce que l’on conçoit qu’il a sous cette notion indépendamment des décrets divins.

De plus, Monsieur, je ne sais comment en prenant Adam pour l’exemple d’une nature singulière on peut concevoir plusieurs Adams possibles. C’est comme si je concevais plusieurs moi possibles, ce qui assurément est inconcevable. Car je ne puis penser à moi sans que je ne me considère comme une nature singulière, tellement distinguée de toute autre existante ou possible, que je puis aussi peu concevoir divers moi que concevoir un rond qui n’ait pas tous les diamètres égaux. La raison est que ces divers moi seraient