Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/556

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que saint Thomas avait déjà enseigné à l’égard des intelligences, et que je tiens être général, savoir qu’il n’est pas possible qu’il y ait deux individus entièrement semblables, ou différents solo numero. Il ne faut donc pas recevoir un Adam vague, c’est-à-dire une personne à qui certains attributs d’Adam appartiennent, quand il s’agit de déterminer si tous les événements humains suivent de sa supposition ; mais il lui faut attribuer une notion si complète, que tout ce qui lui peut être attribué en puisse être déduit ; or il n’y a pas lieu de douter que Dieu ne puisse former une telle notion de lui, ou plutôt qu’il ne la trouve toute formée dans le pays des possibles, c’est-à-dire dans son entendement.

Il s’ensuit aussi que ce n’aurait pas été notre Adam, mais un autre, s’il avait eu d’autres événements, car rien ne nous empêche de dire que ce serait un autre. C’est donc un autre. Il nous paraît bien que ce carré de marbre apporté de Gênes aurait été tout à fait le même quand on l’y aurait laissé, parce que nos sens ne nous font juger que superficiellement, mais dans le fond à cause de la connexion des choses tout l’univers avec toutes ses parties serait tout autre, et aurait été un autre dès le commencement, si la moindre chose y allait autrement qu’elle ne va. Ce n’est pas pour cela que les événements soient nécessaires, mais c’est qu’ils sont certains-après le choix que Dieu a fait de cet univers possible, dont la notion contient cette suite de choses. J’espère que ce que je vais dire en pourra faire convenir M. Arnaud même. Soit une ligne droite ABC représentant un certain temps. Et soit une substance individuelle, par exemple moi, qui demeure ou subsiste pendant ce temps-là. Prenons donc premièrement moi qui subsiste durant le temps AB. et qui suis alors à Paris, et que c’est encore moi qui subsiste durant le temps BC. Puisque donc on suppose que c’est la même substance individuelle qui dure, ou bien que c’est moi qui subsiste dans le temps BC, et qui suis alors en Allemagne ; il faut nécessairement qu’il y ait une raison qui fasse dire véritablement que nous durons, c’est-à-dire que moi, qui ai été à Paris, suis maintenant en Allemagne. Car s’il n’y en a point, on aurait autant de droit de dire que c’est un autre. Il est vrai que mon expérience intérieure m’a convaincu à posteriori de cette identité, mais il faut qu’il y en ait une aussi à priori. Or il n’est pas possible de trouver une autre, sinon que tant mes attributs du temps et état precédant, que mes attributs et état suivant sont des prédicats d’un même sujet, insunt