Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/604

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mêmes ne se font pas par une nouvelle volonté de Dieu, étant conformes à son dessein général, et j’ai déjà remarqué dans les précédentes que chaque volonté de Dieu enferme toutes les autres, mais avec quelque ordre de priorité. En effet, si j’entends bien le sentiment des auteurs des causes occasionnelles, ils introduisent un miracle qui ne l’est pas moins pour être continuel. Car il me semble que la notion du miracle ne consiste pas dans la rareté. On me dira que Dieu n’agit en cela que suivant une règle générale et par conséquent sans miracle, mais je n’accorde pas cette conséquence, et je crois que Dieu peut se faire des règles générales à l’égard des miracles mêmes ; par exemple, si Dieu avait pris la résolution de donner sa grâce immédiatement ou de faire une autre action de cette nature toutes les fois qu’un certain cas arriverait, cette action ne laisserait pas d’être un miracle, quoique ordinaire. J’avoue que les auteurs des causes occasionnelles pourront donner une autre définition du terme, mais il semble que suivant l’usage le miracle diffère intérieurement et par la substance de l’acte d’une action commune, et non pas par un accident extérieur de la fréquente répétition ; et qu’à proprement parler Dieu fait un miracle, lorsqu’il fait une chose qui surpasse les forces qu’il a données aux créatures et qu’il y conserve. Par exemple, si Dieu faisait qu’un corps étant mis en mouvement circulaire, par le moyen d’une fronde, continuât d’aller librement en ligne circulaire, quand il serait délivré de la fronde, sans être poussé ou retenu par quoi que ce soit, ce serait un miracle, car, selon les lois de la nature, il devrait continuer en ligne droite par la tangente ; et si Dieu décernait que cela devrait toujours arriver, il ferait des miracles naturels, ce mouvement ne pouvant point être expliqué par quelque chose de plus simple. Ainsi de même il faut dire que, si la continuation du mouvement surpasse la force des corps, il faudra dire, suivant la notion reçue, que la continuation du mouvement est un vrai miracle, au lieu que je crois que la substance corporelle a la force de continuer ses changements suivant les lois que Dieu a mises dans sa nature et qu’il y conserve. Et afin de me mieux faire entendre, je crois que les actions des esprits ne changent rien du tout dans la nature des corps, ni les corps dans celle des esprits, et même que Dieu n’y change rien à leur occasion, que lorsqu’il fait un miracle ; et les choses à mon avis sont tellement concertées que jamais esprit ne veut rien efficacement, que lorsque le corps est près de le faire en vertu de ses propres lois et forces ; au lieu que