Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/609

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Vous dites de ne pas voir ce qui me porte à admettre ces formes substantielles ou plutôt ces substances corporelles douées d’une véritable unité ; mais c’est parce que je ne conçois nulle réalité sans une véritable unité. Et chez moi la notion de la substance singulière enveloppe des suites incompatibles avec un être par agrégation ; je conçois des propriétés dans la substance qui ne sauraient être expliquées par l’étendue, la figure et le mouvement, outre qu’il n’y a aucune figure exacte et arrêtée dans les corps, à cause de la subdivision actuelle du continu à l’infini ; et que le mouvement, en tant qu’il n’est qu’une modification de l’étendue et changement de voisinage, enveloppe quelque chose d’imaginaire en sorte qu’on ne saurait déterminer à quel sujet il appartient parmi ceux qui changent, si on n’a recours à la force qui est cause du mouvement, et qui est dans la substance corporelle. J’avoue qu’on n’a pas besoin de faire mention de ces substances et qualités pour expliquer les phénomènes particuliers, mais on n’y a pas besoin non plus d’examiner le concours de Dieu, la composition du continu, le plein et mille autres choses. On peut expliquer machinalement, je l’avoue, les particularités de la nature, mais c’est après avoir reconnu ou supposé les principes de la mécanique même, qu’on ne saurait établir à priori que par des raisonnements de métaphysique, et même les difficultés de compositione continui ne se résoudront jamais, tant qu’on considérera l’étendue comme faisant la substance des corps, et nous nous embarrassons de nos propres chimères.

Je crois aussi que de vouloir renferment dans l’homme presque seul la véritable unité ou substance, c’est être aussi borné en métaphysique que l’étaient en physique ceux qui enfermaient le monde dans une boule. Et les substances véritables étant autant d’expressions de tout l’univers pris dans un certain sens, et autant de réplications des œuvres divines, il est conforme la grandeur et à la beauté des ouvrages de Dieu, puisque ces substances ne s’entr’empêchent pas, d’en faire dans cet univers autant qu’il se peut et autant que des raisons supérieures permettent. La supposition de l’étendue toute nue détruit toute cette merveilleuse variété ; la masse seule (s’il était possible de la concevoir) est autant au-dessous d’une substance qui est perceptive et représentation de tout l’univers suivant son point de vue et suivant les impressions (ou plutôt rapports) que son corps reçoit médiatement ou immédiatement de tous les autres, qu’un cadavre est au-dessous d’un animal,