Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/665

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quoiqu’elles soient nécessaires pour établir des vrais principes généraux. Aristote les appelle entéléchies premières. Je les appelle, peut-être plus intelligiblement, forces primitives qui ne contiennent pas seulement l’acte ou le complément de la possibilité, mais encore une activité originale.

4. Je voyais que ces formes et ces Âmes devaient être indivisibles, aussi bien que notre esprit, comme en effet je me souvenais que c’était le sentiment de saint Thomas à l’égard des âmes des bêtes. Mais cette vérité renouvelait les grandes difficultés de l’origine et de la durée des âmes et des formes. Car toute substance simple qui a une véritable unité, ne pouvant avoir son commencement ni sa fin que par miracle, il s’ensuit qu’elles ne sauraient commencer que par création ni finir que par annihilation. Ainsi, excepté les âmes que Dieu veut encore créer exprès, j’étais obligé de reconnaître qu’il faut que les formes constitutives des substances aient été créées avec le monde, et qu’elles subsistent toujours. Aussi quelques Scolastiques, comme Albert le Grand et Jean Bacon, avaient entrevu une partie de la vérité sur leur origine. Et la chose ne doit point paraître extraordinaire, puisqu’on ne donne aux formes que la durée, que les gassendistes accordent à leurs Atomes.

5. Je jugeais pourtant qu’il n’y fallait point mêler indifféremment les esprits ni l’âme raisonnable, qui sont d’un ordre supérieur, et ont incomparablement plus de perfection que ces formes enfoncées dans la matière, étant comme des petits dieux au prix d’elles, faits à l’image de Dieu, et ayant en eux quelque rayon des lumières de la divinité. C’est pourquoi Dieu gouverne les esprits, comme un prince gouverne ses sujets, et même comme un père a soin de ses enfants ; au lieu qu’il dispose des autres substances, comme un ingénieur manie ses machines. Ainsi les esprits ont des lois particulières qui les mettent au dessus des révolutions de la matière ; et on peut dire que tout le reste n’est fait que pour eux, ces révolutions mêmes étant accommodées à la félicité des bons, et au châtiment des méchants.

6. Cependant, pour revenir aux formes ordinaires ou aux âmes matérielles, cette durée qu’il leur faut attribuer ; à la place de celle qu’on avait attribuée aux atomes, pourrait faire douter si elles ne vont pas de corps en corps ; ce qui serait la métempsycose, à peu près comme quelques philosophes ont cru la transmission du mouvement et celle des espèces. Mais cette imagination est bien éloignée de la nature des