Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/724

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mouvements. On s’est prostitué en voulant prouver le contraire, et on a seulement préparé matière de triomphe à l’erreur, en le prenant de ce biais. Les cartésiens ont fort mal réussi, à peu près comme Épicure avec sa déclinaison des atomes, dont Cicéron se moque si bien, lorsqu’ils ont voulu que l’âme, ne pouvant point donner le mouvement au corps, en change pourtant la direction ; mais ni l’un ni l’autre ne se peut et ne se doit, et les matérialistes n’ont point besoin d’y recourir ; de sorte que rien de ce qui paraît au dehors de l’homme n’est capable de réfuter leur doctrine ; ce qui suffit pour établir une partie de mon hypothèse. Ceux qui montrent aux cartésiens que leur manière de prouver que les bêtes ne sont que des automates va jusqu’à justifier celui qui dirait que tous les autres hommes, hormis lui, sont de simples automates aussi, ont dit justement et précisément ce qu’il me faut pour cette moitié de mon hypothèse, qui regarde le corps. Mais outre les principes, qui établissent les monades, dont les composés ne sont que les résultats, l’expérience interne réfute la doctrine épicurienne ; c’est la conscience qui est en nous de ce moi qui s’aperçoit des choses qui se passent dans le corps ; et la perception ne pouvant être expliquée par les figures et les mouvements, établit l’autre moitié de mon hypothèse, et nous oblige d’admettre en nous une substance indivisible, qui doit être elle-même la source de ses phénomènes. De sorte que, suivant cette seconde moitié de mon hypothèse, tout se fait dans l’âme, comme s’il n’y avait point de corps ; de même que selon la première tout se fait dans le corps, comme s’il n’y avait point d’âme. Outre que j’ai montré souvent, que dans les corps mêmes, quoique le détail des phénomènes ait des raisons mécaniques, la dernière analyse des lois de mécanique, et la nature des substances, nous oblige enfin de recourir aux principes actifs indivisibles ; et que l’ordre admirable qui s’y trouve nous fait voir qu’il y a un principe universel, dont l’intelligence aussi bien que la puissance est suprême. Et comme il paraît par ce qu’il y a de bon et de solide dans la fausse et méchante doctrine d’Épicure, qu’on n’a point besoin de dire que l’âme change les tendances qui sont dans le corps ; il est aisé de juger aussi qu’il n’est point nécessaire non plus que la masse matérielle envoie des pensées à l’âme par l’influence de je ne sais quelles espèces chimériques, ni que Dieu soit toujours l’interprète du corps auprès de l’âme, tout aussi peu qu’il a besoin d’interpréter les volontés de l’âme au corps ; l’harmonie préétablie étant un bon