n’ont rien de réel en eux à part, et rien de déterminant, ou même rien de discernable.
58. On ne peut donc point dire, comme l’on fait ici, que la sagesse de Dieu peut avoir eu de bonnes raisons pour créer ce monde dans un tel temps particulier, ce temps particulier pris sans les choses étant une fiction impossible, et de bonnes raisons d’un choix ne se pouvant point trouver là où tout est indiscernable.
59. Quand je parle de ce monde, j’entends tout l’univers des créatures matérielles et immatérielles prises ensemble, depuis le commencement des choses ; mais si l’on n’entendait que le commencement du monde matériel, et si l’on supposait avant lui des créatures immatérielles, on se mettrait un peu plus à la raison en cela. Car le temps alors, étant marqué par les choses qui existeraient déjà, ne serait plus indifférent ; et il y pourrait avoir du choix. Il est vrai qu’on ne ferait que différer la difficulté. Car, supposant que l’univers entier des créatures immatérielles et matérielles ensemble a commencé, il n’y a plus de choix sur le temps où Dieu le voudrait mettre.
60. Ainsi on ne doit point dire, comme l’on fait ici, que Dieu a créé les choses dans un espace, ou dans un temps particulier, qui lui a plu. Car tous les temps et tous les espaces, en eux-mêmes, étant parfaitement uniformes et indiscernables, l’un ne saurait plaire plus que l’autre.
61. Je ne veux point m’arrêter ici sur mon sentiment expliqué ailleurs, qui porte qu’il n’y a point de substances créées entièrement destituées de matière. Car je tiens avec les anciens et avec la raison que les anges ou les intelligences, et les âmes séparées du corps grossier, ont toujours des corps subtils, quoique elles-mêmes soient incorporelles. La philosophie vulgaire admet aisément toute sorte de fictions ; la mienne est plus sévère.
62. Je ne dis point que la matière et l’espace sont la même chose ; je dis seulement qu’il n’y a point d’espace où il n’y a point de matière ; et que l’espace en lui-même n’est point une réalité absolue. L’espace et la matière diffèrent comme le temps et le mouvement. Cependant ces choses, quoique différentes, se trouvent inséparables.
63. Mais il ne s’ensuit nullement que la matière soit éternelle et nécessaire, sinon en supposant que l’espace est éternel et nécessaire ; supposition mal fondée en toutes manières.