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nouveaux essais sur l’entendement

les veines du marbre est dans le marbre avant qu’on les découvre en travaillant.

Ph. Mais est-il possible que des enfants recevant des notions, qui leur viennent au dehors, et y donnant leur consentement, n’aient aucune connaissance de celles qu’on suppose être innées avec eux et faire comme partie de leur esprit, où elles sont, dit-on, empreintes en caractères ineffaçables pour servir de fondement. Si cela était, la nature se serait donné de la peine inutilement, ou du moins elle aurait mal gravé ces caractères, puisqu’ils ne sauraient être aperçus par des yeux qui voient fort bien d’autres choses.

Th. L’aperception de ce qui est en nous dépend d’une attention et d’un ordre. Or non seulement il est possible, mais il est même convenable que les enfants aient plus d’attention aux notions des sens parce que l’attention est réglée par le besoin. L’événement cependant fait voir dans la suite que la nature ne s’est point donné inutilement la peine de nous imprimer les connaissances innées, puisque sans elle il n’y aurait aucun moyen de parvenir à la connaissance actuelle des vérités nécessaires dans les sciences démonstratives et aux raisons des faits ; et nous n’aurions rien au-dessus des bêtes.

§ 26. Ph. S’il y a des vérités innées, ne faut-il pas qu’il y ait des pensées innées ?

Th. Point du tout, car les pensées sont des actions et les connaissances ou les vérités, en tant qu’elles sont en nous, quand même on n’y pense point, sont des habitudes ou des dispositions, et nous savons bien des choses auxquelles nous ne pensons guère.

Ph. Il est bien difficile de concevoir qu’une vérité soit dans l’esprit, si l’esprit n’a jamais pensé à cette vérité.

Th. C’est comme si quelqu’un disait qu’il est difficile de concevoir qu’il y a des veines dans le marbre avant qu’on les découvre. Il semble aussi que cette objection approche un peu trop de l’a pétition de principe. Tous ceux qui admettent des vérités innées, sans les fonder sur la réminiscence platonicienne en admettent auxquelles on n’a pas encore pensé. D’ailleurs, ce raisonnement prouve trop ; car, si les vérités sont des pensées, on sera privé non seulement des vérités auxquelles on n’a jamais pensé, mais encore de celles auxquelles on a pensé et auxquelles on ne pense plus actuellement, et si les vérités ne sont pas des pensées, mais des habitudes et aptitudes, naturelles ou acquises, rien n’empêche qu’il y