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nouveaux essais sur l’entendement

peu connus. Il y a chez nous plus de bien et plus de mal que chez eux. Un méchant européen est plus méchant qu’un sauvage : il raffine sur le mal. Cependant rien n’empêcherait les hommes d’unir les avantages que la nature donne à ces peuples, avec ceux que nous donne la raison.

Ph. Mais que répondrez-vous, Monsieur, à ce dilemme d’un de mes amis ? Je voudrais bien, dit-il, que les partisans des idées innées me disent si ces principes peuvent ou ne peuvent pas être effacés par l’éducation et la coutume. S’ils ne peuvent l’être, nous devons les trouver dans tous les hommes, et il faut qu’ils paraissent clairement dans l’esprit de chaque homme en particulier ; que s’ils peuvent être altérés par des notions étrangères, ils doivent paraître plus distinctement et avec plus d’éclat lorsqu’ils sont plus près de leur source, je veux dire dans les enfants et les ignorants, sur qui les opinions étrangères ont fait le moins d’impression. Qu’ils prennent tel parti qu’ils voudront, ils verront clairement, dit-il, qu’il est démenti par des faits constants et par une continuelle expérience.

Th. Je métonne que votre habile ami a confondu obscurcir et effacer, comme en confond dans votre parti n’être point et ne point paraître. Les idées et vérités innées ne sauraient être effacées, mais elles sont obscurcies dans tous les hommes (comme ils sont présentement) par leur penchant vers les besoins du corps, et souvent encore plus par les mauvaises coutumes survenues. Ces caractères de lumière interne seraient toujours éclatants dans l’entendement et donneraient de la chaleur dans la volonté, si les perceptions confuses des sens ne s’emparaient de notre attention. C’est le combat dont la sainte Écriture ne parle pas moins que la philosophie ancienne et moderne.

Ph. Ainsi donc nous nous trouvons dans les ténèbres aussi épaisses et dans une aussi grande incertitude que s’il n’y avait point de semblables lumières.

Th. À Dieu ne plaise ; nous n’aurions ni sciences, ni lois, et nous n’aurions pas même de la raison.

§ 21, 22, etc. Ph. J’espère que vous conviendrez au moins de la force des préjugés, qui font souvent passer pour naturel ce qui est venu des mauvais enseignements ou les enfants ont été exposés, et des mauvaises coutumes, que l’éducation de la conversation leur ont données.

Th. J’avoue que l’excellent auteur que vous suivez dit de fort