Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/129

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providence ; ou s’il a eu égard plutôt aux mouvements volontaires des substances intelligentes qui avait dessein de creer en considérant ce qu’elles voudraient et feraient dans les différentes circonstances et situations où il les pourrait mettre, afin de prendre une résolution convenable là-dessus. Il me paraît que les deux réponses qu’on donne ainsi à cette grande question, comme opposées entre elles, sont aisées à concilier, et que par conséquent les partis seraient d’accord entre eux dans le fond, sans qu’il y eût besoin de tolérance, si tout se réduisait à ce point. A la vérité, Dieu, formant le dessein de créer le monde, s’est proposé uniquement de manifester et de communiquer ses perfections de la manière la plus efficace et la plus digne de sa grandeur, de sa sagesse et de sa bonté. Mais cela même l’a engagé à considérer toutes les actions des créatures encore dans l’état de pure possibilité pour former le projet le plus convenable. Il est comme un grand architecte qui se propose pour but la satisfaction ou la gloire d’avoir bâti un beau palais, et qui considère tout ce qui doit entrer dans ce bâtiment : la forme et les matériaux, la place, la situation, les moyens, les ouvriers, la dépense, avant qu’il prenne une entière résolution. Car un sage, en formant ses projets, ne saurait détacher la fin des moyens : il ne se propose point de fin sans savoir s’il y a des moyens d’y parvenir.

79 Je ne sais s’il y a peut-être encore des gens qui s’imaginent que, Dieu étant le maître absolu de toutes choses, on peut en inférer que tout ce qui est hors de lui lui est indifférent ; qu’il s’est regardé seulement soi-même sans se soucier des autres, et qu’ainsi il a rendu les uns heureux et les autres malheureux, sans aucun sujet, sans choix, sans raison ; mais enseigner cela de Dieu, ce serait lui ôter la sagesse et la bonté. Et il suffit que nous remarquions qu’il se regarde soi-même et qu’il ne néglige rien de ce qu’il se doit, pour que nous jugions qu’il regarde aussi ses créatures, et qu’il les emploie de la manière la plus conforme à l’ordre. Car plus un grand et bon prince aura soin de sa gloire, plus il pensera à rendre ses sujets heureux quand même il serait le plus absolu de tous les monarques, et quand ses sujets seraient des esclaves nés, des hommes propres (comme parlent les jurisconsultes), des gens entièrement soumis au pouvoir arbitraire. Calvin même, et quelques autres des grands défenseurs du décret absolu ont fort bien déclaré que Dieu a eu de grandes et de justes raisons de son élection et de la dispensation de ses grâces, quoique ces raisons nous soient inconnues en détail ; et il faut juger