Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/141

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1’âge de discrétion, et se plongent dans le péché en suivant l’inclination de la nature corrompue, s’ils ne reçoivent point le secours de la grâce nécessaire pour s’arrêter sur le penchant du précipice, ou pour se tirer de l’abîme où ils sont tombés. Car il paraît dur de les damner éternellement pour avoir fait ce qu’ils n’avaient point le pouvoir de s’empêcher de faire. Ceux qui damnent jusqu’aux enfants incapables de discrétion se soucient encore moins des adultes, et l’on dirait qu’ils se sont endurcis à force de penser voir souffrir les gens. Mais il n’en est pas de même des autres, et je serais assez pour ceux qui accordent à tous les hommes une grâce suffisante à les tirer du mal, pourvu qu’ils aient assez de disposition pour profiter de ce secours, et pour ne le point rejeter volontairement. L’on objecte qu’il y a eu et qu’il y a encore une infinité d’hommes parmi les peuples civilisés et parmi les barbares qui n’ont jamais eu cette connaissance de Dieu et de Jésus-Christ, dont on a besoin pour être sauvé par les voies ordinaires. Mais sans les excuser par la prétention d’un péché purement philosophique, et sans s’arrêter à une simple peine de privation, choses qu’il n’y a pas lieu de discuter ici, on peut douter du fait ; car que savons-nous, s’ils ne reçoivent point des secours ordinaires ou extraordinaires qui nous sont inconnus ? Cette maxime, Quod facienti quod in se est, non denegatur gratia necessaria, me paraît d’une vérité éternelle. Thomas d’Aquin, l’archevêque Bradwardin et d’autres, ont insinué qu’il se passait là-dedans quelque chose que nous ne savons pas (Thom., quæst. 14, de Veritate, artic. ii, ad i et alibi. Bradwardin, de causa Dei, non procul ab initio). Et plusieurs théologiens fort autorisés dans l’église romaine même ont enseigné qu’un acte sincère de l’amour de Dieu sur toutes choses suffit pour le salut, lorsque la grâce de Jésus-Christ le fait exciter. Le père François Xavier[1] répondit aux Japonais que si leurs ancêtres avaient bien usé de leurs lumières naturelles, Dieu leur aurait donné les grâces nécessaires pour être sauvés ; et l’évêque de Genève, François de Sales[2], approuve fort cette réponse (liv. 4, de l’amour de Dieu, chap. 5).

  1. Xavier (saint François), célèbre missionnaire, l’un des premiers disciples d’Ignace de Loyola, né en Navarre -en 1500, fut surnommé l’apôtre des Indes, mourut en 1552. On a de lui Ci»// livres d’Éjtilres (Paris, 1631, in-8°) ; un Catéchisme ; des Opuscules.
  2. DE SALES (saint François), évoque de Genève, né au château de Sales, en Savoie, eu 1567, mort à Lyon en 1622. On a de lui Introduction à la vie dévole (1608, in-S°). Traité de l’amour de Dieu (Lyon, 1616, in-8) ; Entretiens spirituels, etc. (1629, in-8".) P. J.