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LA BONTÉ DE DIEU, LA LIBERTÉ DE L’HOMME, ETC. 2° PARTIE

arrive naturellement aux méchants, sans aucune ordonnance d’un législateur, et ils prennent goût au mal. Si les ivrognes engendraient des enfants inclinés au même vice par une suite naturelle de ce qui se passe dans les corps, ce serait une punition de leurs progéniteurs, mais ce ne serait pas une peine de la loi. Il y a quelque chose d’approchant dans les suites du péché du premier homme. Car la contemplation de la divine Sagesse nous porte à croire que le règne de la nature sert à celui de la grâce et que Dieu comme architecte a tout fait comme il convenait à Dieu considéré comme monarque. Nous ne connaissons pas assez ni la nature du fruit défendu, ni celle de l’action, ni ses effets, pour juger du détail de cette affaire cependant il faut rendre cette justice à Dieu, de croire qu’elle renfermait quelque autre chose que ce que les peintres nous représentent.

113. V. « Il lui a plu par son infinie miséricorde de délivrer un très petit nombre d’hommes de cette condamnation, et en les laissant exposés pendant cette vie à la corruption du péché et à la misère, il leur a donné des assistances qui les mettent en état d’obtenir la béatitude du paradis qui ne finira jamais. » Plusieurs anciens ont douté si le nombre des damnés est aussi grand qu’on se l’imagine, comme je l’ai déjà remarqué ci-dessus ; et il paraît qu’ils ont cru qu’il y a quelque milieu entre la damnation éternelle et la parfaite béatitude. Mais nous n’avons point besoin de ces opinions, et il suffit de nous tenir aux sentiments reçus dans l’Église où il est bon de remarquer que cette proposition de M.Bayle est conçue suivant les principes de la grâce suffisante, donnée à tous les hommes, et qui leur suffit, pourvu qu’ils aient une bonne volonté. Et quoique M. Bayle soit lui-même pour le parti opposé, il a voulu (comme il dit à la marge) éviter les termes qui ne conviendraient pas au système des décrets postérieurs à la prévision des événements contingents.

114. VI. « Il a prévu éternellement tout ce qui arriverait, il a réglé toutes choses et les a placées chacune en son lieu, et il les dirige et gouverne continuellement selon son plaisir tellement que rien ne se fait sans sa permission ou contre sa volonté, et qu’il peut empêcher comme bon lui semble autant et toutes les fois que bon lui semble, tout ce qui ne lui plaît pas, le péché par conséquent, qui est la chose du monde qui l’offense et qu’il déteste le plus et produire dans chaque âme humaine toutes les pensées qu’il approuve. » Cette thèse est encore purement philosophique, c’est-à dire connaissable par les lumières de la raison naturelle. Il est à