Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/52

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suffit pourtant à peu près pour l’examen des raisonnements qui tendent à la certitude) est renvoyée aux écoliers ; et l’on ne s’est pas même avisé de celle qui doit régler le poids des vraisemblances, et qui serait si nécessaire dans les délibérations d’importance. Tant il est vrai que nos fautes, pour la plupart, viennent du mépris ou du défaut de l’art de penser ; car il n’y a rien de plus imparfait que notre logique, lorsqu’on va au-delà des arguments nécessaires ; et les plus excellents philosophes de notre temps, tels que les auteurs de l’Art de penser, de la Recherche de la vérité, et de l’Essai sur l’entendement A’, ont été fort éloignés de nous marquer les vrais moyens propres à aider cette faculté qui nous doit faire peser les apparences du vrai et du faux : sans parler de l’Art d’inventer, où il est encore plus difficile d’atteindre, et dont on n’a que des échantilllons fort imparfaits dans les mathématiques.

32. Une des choses qui pourrait avoir contribué le plus à faire croire à M. Bayle qu’on ne saurait satisfaire aux difficultés de la raison contre la foi, c’est qu’il semble demander que Dieu soit justifié d’une manière pareille à celle dont on se sert ordinairement pour plaider la cause d’un homme accusé devant son juge. Mais il ne s’est point souvenu que dans les tribunaux des hommes, qui ne sauraient toujours pénétrer jusqu’à la vérité, on est souvent obligé de se régler sur les indices et sur les vraisemblances, et surtout sur les présomptions ou préjugés ; au lieu qu’on convient, comme nous l’avons déjà remarqué, que les mystères ne sont point vraisemblables. Par exemple, M. Bayle ne veut point qu’on puisse justifier la bonté de Dieu dans la permission du péché, parce que la vraisemblance serait contre un homme qui se trouverait dans un cas qui nous paraîtrait semblable à cette permission. Dieu prévoit qu’Eve sera trompée par le serpent, s’il la met dans les circonstances où elle s’est trouvée depuis ; et cependant il l’y a mise. Or si un père ou un tuteur en faisait autant à l’égard de son enfant ou de son pupille, un ami à l’égard d’une jeune personne dont la conduite le regarde, le juge ne se paierait pas des excuses d’un avocat qui dirait qu’on a seulement permis le mal, sans le faire, ni le vouloir ; il prendrait cette permission même pour une marque de la mauvaise volonté, et il la considérerait comme un péché d’omission, qui rendrait celui qui en serait convaincu complice du péché de commission d’un autre.

33. Mais il faut considérer que lorsqu’on a prévu le mal, qu’on ne l’a point empêché, quoiqu’il paraisse qu’on ait pu le faire aisément,