Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/60

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obscure (I Corinth. xiii, 12), qu’on n’y peut rien comprendre, à moins que Dieu ne communique un discernement spirituel, et sans cela elle ne passe que pour folie (I Cor. ii, 14). Il exhorte les fidèles à se bien tenir en garde contre la philosophie (I Cor. ii, 8) et à éviter les contestations de cette science qui avait fait perdre la foi à quelques personnes.

47. Quant aux Pères de l’Église, M. Bayle nous renvoie au recueil de leurs passages contre l’usage de la philosophie et de la raison, que M. de Launoy[1] a fait (De varia Aristotelis Fortuna, cap. ii), et particulièrement aux passages de saint Augustin recueillis par M. Arnauld (contre Mallet), qui portent que les jugements de Dieu sont impénétrables ; qu’ils n’en sont pas moins justes, pour nous être inconnus ; que c’est un profond abîme qu’on ne peut sonder sans se mettre au-hasard de tomber dans le précipice ; qu’on ne peut sans témérité vouloir expliquer ce que Dieu a voulu tenir caché ; que sa volonté ne saurait être que juste ; que plusieurs, ayant voulu rendre raison de cette profondeur incompréhensible, sont tombés en des imaginations vaines et en des opinions pleines d’erreur et d’égarement.

48. Les scholastiques ont parlé de même : M. Bayle rapporte un beau passage du cardinal Cajetan[2] (I, part. Sum, qu. 22. art. 4) dans ce sens : « Notre esprit, dit-il, se repose non sur l’évidence de la vérité connue, mais sur la profondeur inaccessible de la vérité cachée. Et comme dit saint Grégoire, celui qui ne croit touchant la divinité que ce qu’il peut mesurer avec son esprit appetisse l’idée de Dieu. Cependant je ne soupçonne pas qu’il faille nier quelqu’une des choses que nous savons, ou que nous voyons appartenir à l’immutabilité, à l’actualité, à la certitude, à l’universalité, etc., de Dieu, mais je pense qu’il y a ici quelque secret, ou à l’égard de la relation qui est entre Dieu et l’événement, ou par rapport à ce qui lie l’événement même avec sa prévision. Ainsi

  1. LAUNOY (Jean de), docteur de Sorbonne, né à Valdéric (diocèse de Coutances) en 1603, mort en 1678 ; auteur de nombreux écrits théologiques. Son curieux ouvrages De Variá Aristotelis in Academiá parisianá fortuná est de 1653. P. J.
  2. CAJETAN (cardinal). Il y a eu deux cardinaux de ce nom. Le premier, dont il est question ici, est le plus célèbre comme théologien et fut l’adversaire de Luther. Il est né à Gaëte en 1469, et mort à Rome en 1534. Il fut, comme Bellarmin, le défenseur des doctrines ultramontaines dans son Traité de l’autorité du Pape (Opuscules, Lyon, 1562). Il a fait un Commentaire sur la Somme de saint Thomas. P. J.