Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une grâce efficace par elle-même, c’est-à-dire par un mouvement divin intérieur qui détermine entièrement notre volonté au bien qu’elle fait ; soit qu’il n’y ait qu’une grâce suffisante, mais qui ne laisse pas de porter coup et de devenir efïicace par les circonstances internes et externes où l’homme se trouve et où Dieu l’a mis, il faut toujours revenir à dire que Dieu est la dernière raison du salut, de la grâce et de l’élection en Jésus-Christ. Et soit que l’élection soit la cause ou la suite du dessein de Dieu de donner la foi, il demeure toujours vrai qu’il donne la foi ou le salut à qui bon lui semble, sans qu’il paraisse aucune raison de son choix, lequel ne tombe que sur un très petit nombre d’hommes.

5 De sorte que c’est un jugement terrible que Dieu, donnant son fils unique pour tout le genre humain et étant l’unique auteur et maître du salut des hommes, en sauve pourtant si peu et abandonne tous les autres au diable son ennemi, qui les tourmente éternellement et leur fait maudire leur créateur, quoiqu’ils aient été tous créés pour répandre et manifester sa bonté, sa justice et ses autres perfections ; et cet événement imprime d’autant plus d’effroi, que tous ces hommes ne sont malheureux pour toute l’éternité que parce que Dieu a exposé leurs parents à une tentation à laquelle il savait qu’ils ne résisteraient pas ; que ce péché est inhérent et imputé aux hommes avant que leur volonté y ait part ; que ce vice héréditaire détermine leur volonté à commettre des péchés actuels, et qu’une infinité d’hommes, enfants ou adultes, qui n’ont jamais entendu parler de Jésus-Christ, sauveur du genre humain, ou ne l’ont point entendu suffisamment, meurent avant que de recevoir les secours nécessaires pour se retirer de ce gouffre du péché, et sont condamnés à être à jamais rebelles à Dieu et abîmés dans les misères les plus horribles, avec les plus méchantes de toutes les créatures, quoique dans le fond ces hommes n’aient pas été plus méchants que d’autres, et que plusieurs d’entre eux aient peut-être été moins coupables qu’une partie de ce petit nombre d’élus qui ont été sauvés par une grâce sans sujet, et qui jouissent par là d’une félicité éternelle qu’ils n’avaient point méritée. Voilà un abrégé des difficultés que plusieurs ont touchées ; mais M. Bayle a été un de ceux qui les ont le plus poussées, comme il paraîtra dans la suite, quand nous examinerons ses passages. Présentement je crois d’avoir rapporté ce qu’il y a de plus essentiel dans ses difficultés ; mais j’ai jugé à propos de m’abstenir de quelques expressions et exagérations qui auraient