Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/92

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préférer l’état des enfants morts sans baptême au règne même des cieux, parce que le péché est le plus grand des maux, et qu’ils sont morts innocents de tout péché actuel. On en parlera davantage plus bas. Messieurs les prélats ont bien remarqué que ce sentiment est mal fondé. L’apôtre, disent-ils (Rom. III, 8), a raison de désapprouver qu’on fasse des maux, afin que des biens arrivent, mais on ne peut pas désapprouver que Dieu, par sa suréminente puissance, tire de la permission des péchés des biens plus grands que ceux qui sont arrivés avant les péchés. Ce n’est pas que nous devions prendre plaisir au péché, à Dieu ne plaise ! mais c’est que nous croyons au même apôtre, qui dit (Rom. V, zo) que là où le péché a été abondant, la grâce a été surabondante, et nous nous souvenons que nous avons obtenu Jésus-Christ lui-même à l’occasion lui-même à l’occasion du péché. Ainsi l’on voit que le sentiment de ces prélats va à soutenir qu’une suite de choses où le péché entre a pu être et a été effectivement meilleure qu’une autre suite sans le péché.

12 On s’est servi de tout temps des comparaisons prises des plaisirs des sens, mêlés avec ce qui approche de la douleur, pour faire juger qu’il y a quelque chose de semblable dans les plaisirs intellectuels. Un peu d’acide, d’acre ou d’amer, plaît souvent mieux que du sucre ; les ombres rehaussent les couleurs ; et même une dissonance placée où il faut, donne du relief à l’harmonie. Nous voulons être effrayés par des danseurs de corde qui sont sur le point de tomber, et nous voulons que les tragédies nous lassent presque pleurer. Goûte-t-on assez la santé, et en rend-on assez grâces à Dieu, sans avoir jamais été malade ? Et ne faut-il pas le plus souvent qu’un peu de mal rende le bien plus sensible, c’est-à-dire plus grand ?

13 Mais l’on dira que les maux sont grands et en grand nombre, en comparaison des biens : l’on se trompe. Ce n’est que le défaut d’attention qui diminue nos biens, et il faut que cette attention nous soit donnée par quelque mélange de maux. Si nous étions ordinairement malades et rarement en bonne santé, nous sentirions merveilleusement ce grand bien et nous sentirions moins nos maux ; mais ne vaut-il pas mieux néanmoins que la santé soit ordinaire, et la maladie rare ? Suppléons donc par notre réflexion à ce qui manque à notre perception, afin de nous rendre le bien de la santé plus sensible. Si nous n’avions point la connaissance de la vie future, je crois qu’il se trouverait peu de personnes qui ne fussent contentes, à l’article de la mort, de reprendre la vie à condition de repasser par la