Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/536

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lités soient assez éminentes pour corriger les excès de l’une ou de l’autre de ces manières de se conduire. Ainsi que nous l’avons dit, toutes deux offrent des dangers et des inconvénients, lorsqu’elles ne sont pas tempérées par un courage et un talent extraordinaires.

Si Annibal et Scipion, l’un par des actions dignes de louanges, l’autre par une conduite odieuse, obtinrent les mêmes résultats, je ne crois pas devoir négliger de parler encore de deux citoyens romains, qui, en suivant une marche différente, quoique également louable, méritèrent tous deux la même gloire.


CHAPITRE XXII.


Comment la dureté de Manlius Torquatus et la modération de Valerius Corvinus leur acquirent à tous deux une gloire semblable.


Rome posséda en même temps deux généraux habiles ; Manlius Torquatus et Valerius Corvinus. Tous deux vécurent dans cette ville, égaux en courage, en triomphes et en gloire ; tous deux, à l’égard de l’ennemi, durent ces avantages à une valeur semblable ; mais, quant à la manière de diriger leur armée et de traiter leurs soldats, ils suivirent une marche entièrement différente. Manlius, déployant en toute occasion une sévérité sans bornes, accablait sans cesse les troupes de travaux pénibles ; Valerius, au contraire, rempli de douceur envers elles, se plaisait à leur témoigner la familiarité la plus affable. L’un, pour maintenir la discipline dans son armée, livra son propre fils à la mort ; l’autre n’offensa jamais le moindre citoyen ; cependant chacun retira les mêmes fruits d’une conduite si opposée, à l’égard de l’ennemi, de la république et de soi-même. En effet, jamais aucun soldat ne refusa de marcher au combat, ne se souleva contre eux, ou ne se montra opposé à leurs