Page:18830317 Journal des débats.pdf/1

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
SAMEDI 17 MARS
1883

ON S’ABONNE
rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois, 17.
PRIX DE L’ABONNEMENT
Un mois Trois mois Six mois Un an
Paris………… 6 fr. 18 fr. 36 fr. 72 fr.
Départemens. 7 fr. 20 fr. 40 fr. 80 fr.
Union postale 7 fr. 21 fr. 42 fr. 84 fr.
Les abonnements partent des 1er et 16 de
chaque mois.

Paris, un numéro…………………… 20 cent.
Départemens, un numéro………… 25 cent.

In London, apply to Cowie and Ce foreign
newspaper office, 17 Grasham street, G.P.O ;
MM. Delizy Davies et Ce, 1, Finch lane Cornhill,
E.G. London ; MM. W.-H. Smith et Son,
186 Strand, W.G. London.
À Vienne (Autriche), à J. — Pages, Stadt Auersperg
strasse, 2.
À Bruxelles, à l’office de publicité, 48, rue de
Madeleine, dans les kiosques et dans les
bibliothèques des gares de chemins de fer belges.


ÉDITION DE PARIS (Matin)

JOURNAL DES DÉBATS


POLITIQUES ET LITTÉRAIRES





SAMEDI 17 MARS
1883

ON S’ABONNE
en Belgique, en Italie
dans le Luxembourg, en Turquie
en Suisse, en Syrie, en Roumanie et dans les
régences du Maroc et de la Tunisie,
en Chine et au Japon
au moyen d’une valeur payable à Paris ou de
mandat-poste, soit internationaux, soit français ;
en Allemagne, en Autriche, en Russie,
et dans tous les directeurs de postes ;
et dans tous les autres pays
par l’envoi d’une valeur payable à Paris

Les annonces sont reçues
chez MM. Dollingen fils, Séguy et Ce
16, rue de la Grange-Batelière,
MM. Lagrange, Cerf et Ce,
8, place de la bourse
et au bureau du JOURNAL
elles doivent toujours être agréées par la rédaction.

PARIS

VENDREDI 16 MARS


Le gouvernement anglais est à son tour aux prises avec le parti de la dynamite. Jusqu’à ce jour c’était seulement en Irlande que M. Gladstone et ses collègues avaient eu à soutenir une lutte sérieuse contre le mouvement révolutionnaire ; ils sont attaqués maintenant à Londres, aux portes de la Chambre des Communes et jusque dans les édifices où sont établis les bureaux de leurs départemens ministériels. Hier, à neuf heures du soir, une cartouche contenant des substances explosibles a éclaté dans le ministère du gouvernement local, et la secousse a été si forte qu’elle s’est fait sentir à la Chambre des Communes qui à ce moment était en séance. On sait qu’en Angleterre presque toutes les administrations centrales se trouvent réunies dans le même édifice. Les bureaux des affaires étrangères, de l’Inde, des colonies, de l’intérieur et du gouvernement local occupent les divers étages d’un bâtiment considérable qui se trouve à peu de distance du palais ou siège le Parlement. Les bureaux du gouvernement local se trouvent au rez-de-chaussée et c’est une cartouche de dynamite placée sur le bord extérieur de l’une des fenêtres de cette partie de l’édifice qui a produit l’explosion. Toutes les vitres ont été brisées, le mur de la façade a été endommagé, mais l’attentat n’a pas fait de victimes. Sir Vernom Harcourt a déclaré à la Chambre des Communes qu’il n’y avait eu ni morts ni blessés. En même temps, le ministre de l’intérieur a annoncé que, vers sept heures et demie, un autre attentat avait été dirigé contre le Times. Une boîte contenant des substances explosives a éclaté dans les bureaux de ce journal. Nous n’avons encore aucun détail bien précis sur cette dernière tentative du parti révolutionnaire, qui menace cette fois la presse, mais, comme le Times a paru ce matin, nous avons lieu d’espérer que les dégâts ont eu peu de gravité.

Le gouvernement qui s’était laissé prendre au dépourvu par ces explosions de dynamite multiplie en ce moment les mesures de précautions destinées à empêcher le retour de pareils crimes. Les postes de police, qui gardent les deux Chambres ont été doublés ; des détachemens de troupes ont été chargés de protéger les bureaux des administrations centrales ; des factionnaires ont été placés à la porte des hôtels où résident les ministres. Toutefois, il est encore très difficile d’apprécier les conséquences politiques que pourront avoir les attentats commis dans la soirée d’hier. On ne sait encore si les criminels qui ont recours à ces moyens abominables pour assurer le succès de leurs doctrines sont des fenians irlandais où des individus affiliés à l’anarchisme cosmopolite dont le quartier général est en Suisse et dont la propagande de fait est déjà exercée à diverses reprises en Russie, en France, en Autriche et en Espagne. Mais, quels que soient les coupables, il est à présumer qu’en Angleterre l’opinion publique réclamera contre eux d’énergiques mesures de répression. Autant nos voisins s’étaient habitués ; comme à une sorte de fléau local inévitable, aux crimes agraires qui se commettent chaque jour de l’autre côté du canal de Saint-Georges, autant ils seront disposés à sévir avec une impitoyable rigueur contre des attentats qui se produisent au cœur même de la ville de Londres. Si les fenians croient avoir préparé le succès de leurs revendications nationales en faisant éclater des cartouches de dynamite en face de l’hôtel de M. Gladstone et dans les bureaux de sir Charles Dilke, c’est-à-dire de celui des membres du Cabinet qui, par ses attaches avec le parti radical, était obligé de soutenir en toute occasion la cause de l’Île sœur dans les Conseils de la reine, une prompte expérience pourrait leur apprendre qu’ils ont singulièrement retardé le vote des nouvelles réformes législatives que le gouvernement avait promises aux Irlandais. Il se pourrait, toutefois, que les fenians n’eussent pris aucune part aux derniers attentats et que les anarchistes internationaux fussent seuls responsables des explosions qui viennent de semer le trouble parmi les habitants de la ville de Londres. Si le socialisme cosmopolite est seul reconnu coupable des criminelles tentatives qui ont eu lieu dans la soirée d’hier, nous devons tenir pour certain que les Anglais sauront retrouver contre la propagande par la dynamite l’indignation séculaire qu’ils ont professée contre la conspiration des poudres. Un peuple qui n’a pas encore perdu le souvenir de Guy Fawkes ne voudra pas tolérer qu’un parti introduise dans la politique intérieure du pays, en les appropriant il est vrai aux derniers progrès de la science, des moyens d’action qui lui ont inspiré autrefois une indignation si violente, que l’anniversaire de la découverte du complot de 1605 est encore célébré comme une fête nationale.

Télégraphie privée.
(Service télégraphique de l’agence Havas.)
Berlin, le 16 mars, 8 h. 20 matin.

La gazette nationale annonce de la manière la plus positive que le général Stosch a renouvelé sa démission en invoquant des motifs politiques et des raisons personnelles.

Berlin, le 16 mars.

La Chambre des Seigneurs a voté aujourd’hui le budget et la loi sur l’emprunt, adoptée déjà par la Chambre des Députés. Puis a été lue une ordonnance royale prorogeant les deux Chambres du Landtag au 15 avril.

Londres, le 16 mars.

Une explosion formidable a eu lieu hier soir, à neuf heures, dans le ministère du gouvernement local. Elle a causé une violente secousse, la façade du ministère a été très endommagée, toutes les fenêtres ont été brisées.

On a ressenti l’explosion jusque dans la Chambre des Communes.

Divers bruits courent sur la cause de cet évènement. Les derniers renseignements permettent cependant de croire que l’explosion est due à la dynamite.

À la Chambre des Communes, sir Vernon Harcourt, répondant à M. Cross a annoncé qu’une explosion venait de se produire dans le rez-de-chaussée du ministère du gouvernement local, que personne n’avait été blessé.

Le gouvernement ne peut faire aucune déclaration sur la cause de l’explosion jusqu’à ce que l’enquête officielle soit terminée.

Sir Vernon Harcourt ajoute que dans la soirée, vers sept heures et demie, une boîte renfermant une matière explosible a éclaté dans les bureaux du Times sans y causer aucun dommage sérieux.

Londres, le 16 mars.

Les journaux du matin publient le texte de la dépêche adressée le 14 courant par lord Granville aux représentans anglais à l’étranger au sujet de la navigation du Danube.

Cette dépêche fait simplement l’exposé des discussions de ma Conférence, elle mentionne le traité de Londres et les protocoles qui ont été signés par les délégués des puissances.

Le Times apprend que, par suite de l’opposition faite au traité de Londres par la Roumanie, les ratifications ne seront pas échangées avant un délai de six mois.

Bien que toutes les puissances désirent obtenir le consentement de la Roumanie, le refus de celle-ci n’empêchera nullement la sanction par les puissances des stipulations contenues dans le traité.

L’édifice où a eu lieu l’explosion d’hier soir renferme les bureaux des affaires étrangères, ceux de l’Inde, des colonies, du ministère de l’intérieur et ceux du gouvernement local. C’est contre ces derniers que l’attentat a été dirigé. Il est maintenant établi que l’explosion a été causée par la dynamite. Les criminels en avaient placé une forte quantité sur le bord extérieur d’une fenêtre.

M. Gladstone, qui n’assistait pas à la séance des Communes, était chez lui lorsque l’explosion s’est produite. On sait que son hôtel est situé juste en face de l’édifice que l’on a tenté de faire sauter.

À la suite de l’explosion, les forces de la police ont été doublées à la Chambre des Lords et à la Chambre des Communes, des postes ont été établis dans les bureaux officiels du gouvernement ; des sentinelles ont été placées à la porte de tous les ministères.

Les journaux du matin sont unanimes à réprouver ce criminel attentat.

Le Times parlant de l’explosion d’hier soir, dit qu’il faut la considérer comme une réponse des fenians au discours prononcé par M. Gladstone mercredi dernier.

L’organe de la Cité ajoute que, si les irréconciliables anglais pensent répondre par la dynamite à une action politique quelconque du gouvernement qui pourrait ne pas convenir à leur impatience, ils peuvent considérer comme passé irrémédiablement pour l’Irlande le jour des réformes législatives.

Le Times conclut en conseillant à M. Parnell et à ses partisans de ne pas perdre de vue ce fait.

Londres, le 16 mars, 1 h. soir.

Une enquête officielle est ouverte sur l’explosion d’hier soir, sous la présidence de M. Trevelyau, secrétaire pour l’Irlande.

Aucune arrestation n’a encore été faite et on n’a encore découvert aucune trace des auteurs de l’attentat.

La police croit cependant que cet attentat est l’œuvre des fenians.

Une récompense considérable sera offerte à celui qui découvrira les coupables.

L’engin qui a fait explosion était bourré de dynamite ou d’une autre matière fulminante, mais l’on ne sait rien de précis sur sa composition.

L’un des bureaux du ministère du gouvernement local a été complètement dévasté par l’explosion. Plusieurs dalles en pierre ont été complètement pulvérisées et plusieurs blocs de maçonnerie projetés à une grande distance.

L’explosion a eu lieu évidemment à l’extérieur de l’édifice.

Les précautions nécessaires sont prises pour garder tous les édifices publics et les docks.

Londres, le 16 mars.

On n’a rien découvert encore relativement aux explosions de Londres. Le gouvernement offre une récompense de 1,000 liv. st. à la personne qui mettra sur la trace des auteurs de cette tentative criminelle.

Le théâtre de l’explosion de Westminster n’a cessé pendant toute la journée d’être assiégé par une foule énorme de curieux.

Beaucoup de notabilités s’y sont également transportées. Parmi ces visiteurs de marque, on peut citer : le prince de Galles, le duc et la duchesse de Connaught, le duc de Cambridge, le comte de Münster, ambassadeur d’Allemagne, et M. Herbert de Bismarck.

Vienne, le 16 mars.

La Chambre des Députés a adopté définitivement le budget et la loi de finances pour 1883, ainsi que les projets tendant à ouvrir des crédits pour venir en aide aux indigens. La Chambre s’est ensuite ajournée.

Sofia, le 15 mars.

Le nouveau ministère est ainsi constitué :

Le général Soboleff, président du Conseil et ministre de l’intérieur, chargé en outre, de l’intérim du ministre des finances ;

Général Kaulbars, guerre ;

Prince Kikoff, travaux publics, agriculture et commerce ;

M. Kyriak Zankoff, affaires étrangères ;

M. Théocharoff, justice ;

M. Ajoura, instruction.

Le programme du Cabinet est de maintenir l’ordre des choses actuel et de mettre à exécution les lois votées par la Chambre.

Constantinople, le 15 mars, soir.

Le Sultan a reçu aujourd’hui en audience privée Mgr. Rotelli, délégué du Saint-Siège apostolique près la Sublime Porte, en remplacement de Mgr. Vanutelli.

Le langage des discours échangés a été très amical. Le Sultan a fait au prélat un accueil des plus bienveillans.

Le Caire, le 16 mars.

La commission de la Dette publique a informé le ministère des finances que la franchise des droits de douane accordée sur la demande des autorités anglaises, aux provisions destinées à l’armée d’occupation a donné lieu à des abus. À l’appui de cette affirmation, la commission a cité, avec preuves à l’appui, des négocians, des particuliers, voire même des officiers, à qui on a accordé la franchise, lésant ainsi gravement les revenus des douanes.

Les négocians européen se montrent très émus de ces révélations et ils considèrent que de tels abus portent atteinte au principe commercial.

BOURSE DE PARIS

Clôture le 15. le 16. HAUSSE. BAISSE.
3 0/0
coupon détaché
Comptant. 81 60./. 81 10./. . 25./. …./.
Fin cour. 81 72 1/2 81 15./. .17 1/2 …./.
3 0/0
Comptant. 82 25./. 82 10./. …./. . 15./.
Fin cour. 82 25./. 82 35./. .10./. …./.
4 1/2 0/0
Comptant. 110…/. 110 50./. . 50./. …./.
5 0/0
Comptant. 115 30./. 115 30./. …./. …./.
Fin cour. 115 42 1/2 115 42 1/2 …./. …./.



PETITE BOURSE DU SOIR.
Emprunt 3 0/0…… 81 fr. 27 1/2, 28 3/4, 27 1/2.
Emprunt 5 0/0…… 115 fr. 42 1/2, 82 1/2, 33 1/4.
Italien 5 0/0……… 89 fr. 35, 32 1/2, 37 1/2.
Extérieur 4 0/0…… 62 fr. 5/16, 11/32, 5/16.
Turc…………….….. 11 fr. 93, 92 1/2.
Banque ottomane.. 752 fr. 50, 753 fr. 12, 752 fr. 50, 751 fr. 87.
Égyptiennes 6 0/0.. 379 fr. 06, 37, 378 fr. 75, 379 fr.
Tunis………………… 473 fr. 12.

Le sénat a discuté avec toute l’ampleur qu’elle méritait la loi qui accorde une nouvelle dotation de 120 millions à la Caisse des écoles. Les avantages faits aux communes par la Caisse des écoles sont tels que l’État ne saurait, sans injustice, prier de ces avantages celles des communes qui ne se sont pas encore mises en règle ; il peut encore moins opposer une fin de non-recevoir à celles qui sont en instance pour emprunter et dont les demandes n’ont pu être accueillies que sous réserve avant le vote du Parlement.

L’accord s’est établi très facilement entre M. Léon Say qui a rappelé au nom de la commission des finances les règles tutélaires de la comptabilité et M. le président du Conseil défenseur né de la cause de l’instruction publique. Toutes les garanties formulées par la commission des finances ont été acceptées avec la meilleure grâce du monde par M. Jules Ferry, et il ne pouvait en être autrement, puisque le gouvernement et la commission défendent les mêmes intérêts, l’intérêt supérieur du Trésor et l’intérêt non moins essentiel de l’enseignement public.

Comment se fait-il que sur ce terrain la Droite du Sénat ne se soit pas rencontrée avec la Gauche et avec le gouvernement dans une approbation unanime ? La Droite aurait-elle en ces matières des visées particulières, des préoccupations de parti ? Verrait-elle dans l’enseignement primaire un moyen d’influence électorale et d’action sur l’esprit public ? M. Buffet s’est défendu avec une grande énergie de toute opposition contre la multiplication des écoles ; il a rappelé que, dans son département qui est celui de M. Jules Ferry, pas un conseiller général, pas un conseiller municipal n’était hostile en principe à l’enseignement primaire.

C’est fort bien et, nous retenons l’aveu. Les progrès de l’enseignement, la Droite comme la Gauche les appelle et les encourage. Pourquoi donc, alors, vote-t-elle si souvent contre la Gauche et montre-t-elle, justement dans les questions d’enseignement une âpreté, une résistance aussi obstinée ? Comment se fait-il qu’elle repousse la dotation nouvelle de la Caisse des écoles comme elle a repoussé la loi de 1882, la loi de 1878 et généralement toutes les lois qui intéressent l’enseignement primaire ?

S’agit-il seulement ici d’une dissidence de pure forme ; diffère-t-on simplement d’avis sur les voies et moyens, sur la meilleure manière de ménager les deniers des contribuables ?

Non certes, et le désaccord est autrement profond. M. Buffet et ses collègues de la Droite obéissent à des idées préconçues, à des croyances religieuses beaucoup plus qu’à des convictions politiques en repoussant toutes les lois qui organisent l’enseignement primaire. Ils ne sont pas les ennemis des lumières, mais ils veulent que les flambeaux soient tenus par des certaines mains. Ils voteraient des sommes bien supérieures à celles qu’ils refusent s’ils pouvaient arracher les enfans des bras de l’Université pour les attirer sur les genoux de l’Église. Ils parlent volontiers de l’enseignement libre et, en effet, l’enseignement libre leur est chier, parce qu’il est l’enseignement libre leur est cher, parce qu’il est l’enseignement congréganiste. Ils attaquent l’enseignement de l’État, ils combattent la création des écoles communales, parce que l’enseignement donné par l’État sera un enseignement neutre, parce que les écoles communales seront des écoles laïques.

Voilà les sentimens, voilà les craintes qu’éprouve la Droite et qu’elle recouvre d’un beau zèle pour les intérêts du Trésor. Nous poussons beaucoup moins loin l’esprit d’exclusion : nous ne regardons pas à l’étiquette, et nous pensons qu’à défaut d’instituteurs et d’institutrices laïques, les frères et sœurs peuvent rendre de très utiles services, donner de très bonnes leçons de français, de calcul, de morale et même, de civisme et de patriotisme. Mais nous voulons avec le gouvernement, avec la majorité républicaine des deux Chambres que, partout où une municipalité veut construire une école communale, une école laïque, elle rencontre l’appui bienveillant de l’État ; nous voulons qu’elle puisse puiser dans cette Caisse que les pouvoirs publics cette Caisse que les pouvoirs publics subventionnent si généreusement, nous voulons que la libre concurrence puisse s’établir entre les deux enseignemens sous les yeux des familles, qui sauront comparer, juger et choisir.

Au fond, l’opposition que faire la Droite sénatoriale à la loi qui renouvelle la dotation de la Caisse des écoles est une opposition religieuse et confessionnelle. M. Buffet, M. Fresneau ne sont pas des financiers qui veulent sauvegarder les principes de la comptabilité publique ; ils sont avant tout des croyans ; ils sont des apôtres ; ils estiment qu’en dehors de l’enseignement congréganiste il n’est point de salut, et, derrière la Caisse des écoles elles-mêmes, les écoles communales, les écoles laïques de garçons ou de filles, celles où l’on n’enseigne plus le catéchisme, celles où l’on apprend la morale et le patriotisme dans des livres que Rome excommunie.

Le gouvernement et la majorité du Sénat se préoccupent un peu moins de Rome et un peu plus de la France. La commission des finances a fait des réserves auxquelles le ministre de l’instruction publique s’est associé ; elle ne pouvait ni ne voulait blâmer la politique scolaire du président du Conseil ; cette politique n’est contestée que par les défenseurs chaque jour plus rares et plus déconcertés de la loi de 1830.

Edgar Zevort.

L’armement de la garde nationale revenue de Nouméa n’est pas encore commencé. Il faut d’abord que les commissions spéciales du Conseil municipal de Paris en délibèrent, puisque nos lois ont la complaisance d’y consentir ; mais, en attendant le désarmement de la police est en assez bonne voie. Un agent vient d’avoir l’indiscrétion d’arrêter une voleuse à la sortie d’un magasin de nouveautés où elle venait d’exercer ses talens. Les citoyens de la nouvelle Athènes étaient là, par bonheur. Ce n’est pas à eux qu’il faut recommander deux fois de faire trembler les bons et de rassurer les méchans. L’honnête coupeuse de bourses a été en un tour de main délivrée par la main du peuple ; elle allait être portée en triomphe ; si elle n’avait préféré de disparaître, et le représentant de l’incorrigible sûreté publique a été houspillé comme il le méritait.

L’heureux temps pour les marchands de saucisse d’Aristophane ! Ils n’ont jamais été à pareille fête. En 93, ils avaient déjà joui des honneurs dus aux magistratures, mails alors il y avait quelque responsabilité et certains devoirs attachés à la volupté d’avoir une écharpe. La Révolution n’était pas sûre de son lendemain et le danger de la patrie n’avait pas été déclaré par une vaine fantaisie. Aujourd’hui, les vieilles de Pitt et Cobourg ne sont plus que des accessoires dans les magasins du mélodrame, on est d’ailleurs d’accord pour prêcher que la patrie est une notion disparue de l’esprit humain et le patriotisme un conte de nourrice ; quant à la Révolution, rien de plus simple : on ne se livrera plus en masse qu’à l’intérieur et seulement pour détruire la société et la civilisation à tant la journée. Le programme est tout une guirlande de plaisirs sans périls, et ce sont les plaisirs sans périls qui sont les plus délicieux.

Nous nous imaginons pourtant qu’un si beau rêve passera par quelques métamorphoses avant de se réaliser. Nous ne recueillons pour le moment que ce que nous avons semé et il était naturel, dès que la surenchère était ouverte aux flatteries et aux flagorneries, que l’humilité des candidats donnât aux dispensateurs populaires, des dignités publiques une beaucoup trop haute idée d’eux-mêmes. Mais il est impossible qu’un peuple de bon sens comme le nôtre et qui n’ignore pas de quels grands devoirs il est chargé depuis nos malheurs de 1870, ne se délivre pas bientôt de la connivence où ses flatteurs et ses flagorneurs l’ont entraîné ; et, quand elle arrive à émanciper les voleuses pour donner des leçons à la police, la foule ignorante a elle-même accompli son dernier chef-d’œuvre et est près de revenir sur ses pas.

Au lieu des pièces de théâtre, toutes plus ou moins dérivées du Roi s’amuse, dont les faiseurs régalent la foule, nous sommes persuadé qu’elle ne le trouverait pas mal si nous lui servions une ou deux pièces de cet immortel Aristophane, dont l’œuvre est redevenue parlante. Le peuple de France n’est pas si sot ! Il comprendra la juste satire de la comédie aussi aisément que les marchandes d’herbes d’Athènes. Il y a des portraits véritablement charmans de nos citoyennes à la mode dans Lysistrata et dans l’Assemblée des femmes, et les Chevaliers en ont d’autres, du même dessein et de la même couleur, de nos plus incorruptibles citoyens. Le marchand de saucisse Agoracritos aurait autant de succès qu’il y a deux mille ans en dialoguant avec le poulpe. « Le peuple : Étais-je donc si stupide ? — Agoracritos : Il y a plus. Si de deux orateurs, l’un proposait d’équiper la flotte, l’autre de salarier les citoyens, c’était ce dernier que tu applaudissais toujours. — Le peuple : Je rougis de mes fautes passées. — Agoracritos : N’y pense plus. Le coupable, ce n’est pas toi, c’est le monde des gens qui l’ont trompé. »

Le châtiment des flatteurs du peuple est le mépris où ils tombent aussitôt qu’il s’aperçoit qu’il a été leur dupe, et c’est pourquoi une édilité patriotique ferait bien de subventionner, en ce moment-ci, une série de représentations à bas prix des philippiques théâtrales d’Aristophane. On n’aurait pas même besoin de changer les mots grecs. La transparence de ces comédies admirables est telle que les Parisiens de 1883 s’y reconnaîtraient d’eux-mêmes. Que nous serions heureux de rire ainsi, tous ensemble, des patriotes et des républicains de rencontre qui se sont mis à vivre effrontément sur les corps sacrés de la république et de la patrie !

Paul Boiteau.

Le Sénat a terminé aujourd’hui la discussion de la loi augmentent la dotation de la Caisse des lycées, collèges et écoles primaires qui a passé à une assez forte majorité. Battue sur les huit premiers articles, la Droite a vainement essayé de prendre sa revanche sur les trois derniers. M. Fournier (du Cher) a d’abord présenté un paragraphe additionnel à l’article 8 voté hier ; ne pouvant plus empêcher l’établissement des écoles de hameau, M. Fournier voulait du moins retarder et demandait un délai de cinq années pour l’application de la loi dans les communes « où existe une école libre suffisant aux besoins « de l’instruction primaire ». Débouté de ses prétentions, il a été remplacé par M. de Carné qui pensait être plus heureux en reproduisant un amendement à l’article 9 présenté à la Chambre par M. René Goblet et repoussé par elle a une faible majorité. Cet article 9 stipule que, lorsque la création d’une école aura été régulièrement décidée, les frais de construction ou d’appropriation des locaux, ainsi que les frais d’acquisition du mobilier scolaire, constitueront pour la commune une dépense obligatoire que par une loi. C’eût été mettre en mouvement le Parlement pour peu de chose, alors que les garanties suffisantes découlent de la disposition inscrite dans l’article suivant, qu’aucune dépense obligatoire ne peut être inscrite d’office que par un décret du Président de la république rendu en Conseil d’État. C’est ce qu’a rappelé M. Lenoël, et l’amendement de M. de Carné a été repoussé par 184 voix contre 92.

Restait l’article 10, le plus important peut-être de la loi, car il apporte à la législation antérieure une modification considérable. D’après la loi du 1er  Juin 1878 qui a institué la Caisse des écoles, l’avis « conforme » du Conseil général était nécessaire pour que le préfet pût passer outre au refus du Conseil municipal et pouvoir d’office, par un arrêt au payement des frais d’établissement d’une école. Il en était résulté que, dans les départemens ou la majorité du Conseil général est encore antirépublicaine, l’action administrative avait été paralysée. Aussi la Chambre, tout en obligeant le préfet à prendre l’avis de l’Assemblée départementale, lui permettait-elle de n’en tenir aucun compte ; il lui avait suffit pour cela de supprimer le mot « conforme ». On a vu, à propos de l’article 9, que la commission du Sénat s’était contentée d’ajouter un paragraphe stipulant que, si l’avis du Conseil général n’est pas favorable, le préfet ne pourrait imposer d’office la commune qu’en vertu d’un décret rendu en Conseil d’État. Ce texte, légèrement modifié par un amendement de M. Labiche, a été adopté sans opposition, MM. de Carné et Delsol, qui tenait également d’autres amendement en réserve, ayant accepté de bonne grâce, leur défaite. L’ensemble de la loi a été enfin voté par 190 voix contre 78.

Le Sénat s’est ajourné ensuite à demain, après avoir adopté un autre projet augmentant la dotation de la Caisse des chemins vicinaux et un crédit extraordinaire de 100,000 fr. destiné à l’agrandissement de l’École normale supérieure.

On nous écrit de Rome, le 13 mars.

« On a continué hier à discuter la politique étrangère à propos du budget. La plupart des orateurs ont approuvé le gouvernement de ne pas être allé en Égypte. Ils persistent à voir dans la révolution faite par Arabi un mouvement national contre lequel l’Italie ne pouvait agir. Au fond, la majorité de la Chambre, comme celle du pays ne veut plus de politique d’aventures : c’est ce que je vous ai constamment écris. Il n’a pas été dit un seul mot de Tunis ni des Capitulations. Il est clair que cette question ne passionne plus que quelques individualités.

» Le seul discours vraiment remarquable a été jusqu’ici celui de M. Minghetti, excellent quant à la forme, et digne sous ce rapport d’un orateur de premier ordre. Au fond, c’est autre chose. La politique de M. Minghetti est celle de M. Crispi, exposée avec élégance et modération, au lieu d’être produite brutalement, mais c’est la même politique essentiellement antifrançaise, et fort dangereuse pour l’Italie. Il ne me convient pas en ce moment de dire pourquoi.

» Heureusement, si M. Minghetti devenait ministre, il modifierait ses idées, mais il ne le sera pas de si tôt. Son heure n’est pas proche et ne viendra peut-être jamais.

» On a fait grand bruit d’un incident qui n’en valait guère la peine. Il paraît qu’en annonçant à lord Granville le refus de l’Italie le général Menabrea aurait dit que l’Italie était prise à l’improviste, et qu’il lui fallait un certain temps pour envoyer en Afrique 25, 000 hommes.

» On a voulu voir, dans cette conversation rapportée par le Livre Bleu anglais, un aveu d’impuissance et on en a fait un grief à l’ambassadeur et au ministre. M. Mancini s’est fâché et a déclaré que l’Italie pouvait instantanément mettre en ligne, non 25,000, mais 130, 000 hommes ; avec un peu de réflexion, il eût été fait moins de bruit d’une phrase fort naturelle.

» Le général Menabrea a énoncé une vérité banale. Il est clair qu’il faut plus de temps, pour expédier un corps d’armée au delà de mers, que pour le réunir sur un point quelconque du territoire, et une pareille expédition ne s’improvise pas. Dans cette affaire tout le monde à tort : le général Menabrea, qui a dit ce que tout autre eût dit à sa place ; lord Granville qui n’aurait pas dû donner l’importance du Blue Book à une conversation confidentielles ; M. Sydney Sonnino qui a vu une déclaration d’impuissance dans une phrase des plus inoffensives, et enfin M. Mancini qui eût mieux fait en ne relevant pas, avec une chaleur excessive ce qui n’en valait pas la peine.

» Nul ne doute que l’armée italienne ne puisse mettre sur pied en peu de jours 25, 000 hommes et même plus. L’affirmer en se fâchant est plus propre à faire naître le doute qu’a le dissiper s’il existait. Ce soir, M. Mancini prendra la parole. Il n’aura pas grand peine à justifier son refus d’aller en Égypte, puisque évidemment la majorité de la Chambre et celle du pays trouvent qu’il a bien fait. Il lui sera plus difficile de justifier les trop nombreux projets qu’il a mis en avant et qui n’ont pas abouti. Le résultat eût été le même s’il se fût tenu en repos. Mais le mal n’est pas grand. On imprime tant de choses inutiles, qu’un gros volume inutile de plus ou de moins importe très peu.

 » Rome, le 14 mars.

» Le ministre des affaires étrangères a pris hier la parole, et son discours est digne d’une attention spéciale Deux points m’ont particulièrement frappé. La partie la plus développé du discours ministériel a été consacrée à l’Autriche, et a eu pour but évident d’effacer la trace des derniers incidens.

» La pensée dominante de la politique de M. Mancini est l’accord avec l’Allemagne et l’Autriche, dans le but d’assurer la durée de la paix. Jusque-là rien à dire, mais le ministre a donnée à entendre assez clairement qu’il existait entre l’Italie et l’Autriche un traité ou au moins un accord de garantie réciproque. Ceci serait important.

» Pour l’Italie, la garantie n’aurait de valeur que contre la France, l’Autriche ne pouvant la garantir contre elle-même et l’Italie n’ayant pas d’autres adversaires, je ne dis pas probables, mais possibles. Ce serait une précaution inutile et qui pourrait être dangereuse, car il y a sans doute un consécutif, et l’Italie pourrait se trouver en guerre avec la Russie, ce qui ne me paraît pas de son goût.

» Cette indication un peu trop vague aurait besoin d’être éclaircis ; elle le sera peut-être dans la séance de ce soir. M. Mancini a dit aussi que bientôt peut-être l’Italie aurait à exercer son influence dans l’intérêt d’une grande cause. Qu’a-t-il voulu dire ? Je n’en sais rien.

» Le Popolo romano, journal des plus ministériels, s’il n’est officieux, semble prendre d’avance ses précautions, en disant que le ministre des affaires étrangères exagérait le rôle d’influence que l’Italie devrait jouer.

» La partie relative à la France a paru conciliante, surtout en ce qui concerne la question pendante des Capitulations tunisiennes. Du reste, M. Mancini ne pourrait, pour contrecarrer la politique française à Tunis, s’appuyer sur le Parlement. M. Marselli seul orateur qui ait traité la question a conseillé l’accord ; les autres n’ont rien dit, et c’est le cas de dire qui ne dit mot, consent.

» Je dis que le discours de M. Mancini a paru conciliant, parce que, grâce à la mauvaise disposition de la salle et à son organe fatigué par suite d’une santé fort ébranlée, on a fort mal entendu, et que le compte rendu sténographique n’est pas publié encore.

» M. Mancin a parlé quatre heures et demie, et sa fatigue est fort naturelle. Son discours eût gagné au point de vue littéraire, à être condensé et tout ce qui est important eût pu être dit en moins de deux heures. Mais je n’ose critiquer l’auteur qui doit se conformer au goût de l’auditoire.

» En Italie, on a la passion des longs discours et des longs articles. Ce goût fâcheux est sans doute la conséquence de l’éducation des collègues. Si M. Mancini n’eût parlé que deux heures, la Chambre aurait trouvé qu’il la traitait sans cérémonie, et qu’il ne donnait pas à son sujet l’importance qu’il mérite. On l’eût taxé de légèreté pour