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Dix-Septième Année — Troisième Série — Numéro 244 Paris : 15 centimes. — Départements et Gares : 20 CENTIMES. Samedi 17 Mars 1883
ARTHUR MEYER
Directeur
Du GAULOIS et PARIS-JOURNAL

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Le Gaulois
H. DE PÈNE
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Ce numéro est accompagné d’un supplément qui doit être délivré gratuitement.

PHYSILOGIE
DE
L’ÉMEUTE



CHAPITRE PREMIER
Définition de l’émeute. — Du rôle qu’y joue la foule. — De la nécessité d’y être absurde.

Une émeute est un mouvement populaire qui a le désordre pour principe et pour fin. L’émeute est par cela même quelque chose de profondément humain et qui prend les hommes au coeur ; car l’amour du désordre est, avec le besoin de l’ordre, ce qu’il y a de plus ancien et de plus universel dans les sociétés. C’est pourquoi nous voyons qu’il y a toujours eu des émeutes et qu’elles ont toujours été suivies d’un régime réparateur.

L’émeute à cela de charmant et d’immortel qu’elle est bête et qu’elle amuse comme Guignol. Elle fait passer une heure ou deux aux badauds à qui les plus grands hommes d’Etat n’ont pas rendu le même service. C’est pourquoi les badauds dont ravis quand il y a une émeute. Ils s’y rendent ponctuellement.

Les plus avisés ont l’idée que leur présence est utile et même nécessaire. Cela est d’une exacte vérité. Leur affluence peut seule jeter dans les places publiques cette confusion, ce désordre qui est l’essence même de l’émeute. Sans eux la force armée se trouverait en face d’un certain nombre de gaillards dont elle doit réprimer les manifestations. Ce serait un combat et ce ne serait pas une émeute.

Il faut, dans une émeute, que chacun soit ridicule et que personne ne sache exactement ce qu’il fait.

C’est en réalité ce qui a lieu, et l’on n’a qu’à suivre, pour s’en persuader, les audiences dans lesquelles sont jugés, au lendemain de l'émeute, ce qu’on nomme les flagrants délits. Les magistrats seraient appelés à prononcer des peines contre les marionnettes du théâtre Séraphin, qu’ils n’auraient pas plus de fantaisie et d’imprévu.

CHAPITRE II
Des signes extérieurs de l’émeute

On reconnait qu’il y a des émeutes :

1° À la gaieté peinte sur tous les visages, excepté ceux du chef de l’Etat et des ministres ;

2° À la distribution inégale des citoyens sur la surface de la ville, la plupart des quartiers étant déserts tandis que certains points sont surabondamment occupés ;

3° À l’abondance et à la mauvaise qualité des journaux qui contiennent des nouvelles évidemment fausses ;

4° Au nombre d’estafettes qui portent aux ministres et au préfet de police des dépêches inutiles. Mais le public, qui voit passer leurs chevaux au galop, croit qu’ils portent des messages importants, parce que le cheval est un noble animal et le galop une belle allure.

5° Au chagrin des femmes et des filles qu’on abandonne pour aller voir dans la rue. Les curiosités publiques émoussent pour un temps l’attrait des plaisirs intimes.

CHAPITRE III
De la raison véritable et des prétextes de l’émeute.

La secrète raison de l’émeute étant ce besoin de distraction que Pascal dit être nécessaire à l’homme, les raisons avouées sont de peu d’importance. On les prend généralement dans la longue kyrielle des revendications. Les plus illusoires doivent être préférées.

Sous l’Empire, les émeutiers prirent pour prétexte un besoin spontané d’honorer la tombe du citoyen Baudin.

L’idée était inattendue : elle réussit, bien qu’elle ne fût pas assez gaie. Les bourgeois qui l’ont inventée sont maintenant ministres et conseillers d’Etat. Ils n’approuvent pas qu’on honore spontanément la tombe de Blanqui.

CHAPITRE IV
De l’époque où éclatent les émeutes.

Les émeutes éclatent quand les citadins s’ennuient, ce qui se produit sans faute au déclin de tous les gouvernements. Les gouvernements amusent d’abord par leur nouveauté. Ils ont à leur début, la force et la magnificence comme l’Empire, ou l’ingénuité comme la République. Ils divertissent ensuite par les Expositions universelles et des guerres heureuses. Mais quand ces moyens sont épuisés, il est impossible à l’Etat d’entretenir le public en belle humeur. La République seule eut, à cet effet, la ressource des ministres ridicules : M. Farre et ses « fours de campagne », M. Duclerc et ses « instrument nécessaire » procurèrent pendant quelques mois cet amusement que le bourgeois va chercher dans l'émeute, s’il ne le trouve plus ailleurs.

L’émeute éclate quand le Parisien s’ennuie ; mais ce n’est pas le Parisien qui la fait éclater.

CHAPITRE V
De ceux qui dont les émeutes.

Ceux qui font les émeutes sont :

1° Les bourgeois ambitieux qui veulent être présidents de la République, membres de comités électoraux, empereurs ou secrétaires de préfecture. Ces bourgeois ont grandement raison ; car on arrive difficilement à ces fonctions par la voie hiérarchique. On y arrive par la popularité, et l'émeute rend populaire.

2° La jeunesse urbaine, qui aime le jeu et qui n’a nu lawn-tennis, ni crockett, l’été, au bord de la mer.

3° Les ouvriers doués d’imagination. Ceux-là sont rares.

4° Les ouvriers imbéciles et doux qu’on mène.

Mais l'émeute, qui est une « représentation », ne peut avoir lieu que quand le bourgeois, contre qui on la fait, est résolu à l’aller voir.

CHAPITRE VI
Les obscurs commencements de l’émeute.

L’émeute a des commencements qui échappent aux observateurs grossiers et par conséquent à la plupart des hommes politiques. Mais elle commence toujours par une niaiserie ou un enfantillage.

En 1868, sous l’Empire, l’émeute commença sur la place du Château-d’Eau. C’était l’hiver. Des patineurs voulaient patiner dans les bassins ; les sergents de ville s’y opposèrent, et cela fit une émeute.

CHAPITRE VII
De ce qui se fait dans l'émeute

Dans les émeutes on ne fait que des sottises, mais bien différentes selon les temps et les lieux. Les Anglais s’y soûlent. Les Français, au dix-huitième siècle, y chantaient des chansons et fessaient des filles ; c’était encore de la galanterie.

En 1848, on plantait des arbres qu’on faisait bénir par les curés. Sous l’Empire, on huait le commissaire de police, et, pour déplaire à l’Empereur, on renversait les tables des cafés. C’était MM. Floquet et Ferry qui inspirait alors les émeutiers.

La jeunesse est confiante : elle donne à ses émeutes la forme du monôme. Mais le monôme est condamné par les principes les plus élémentaires de la stratégie.

CHAPITRE VIII
Où l’on voit que l’émeute n’échappe pas à l’imperfection commune à toutes les oeuvres humaines.

L'émeute n’échappe pas à l’imperfection commune à toutes les oeuvre humaines. Si elle est la distraction des citoyens qui n’en ont pas d’autre, si elle est le grand spectacle civique, elle a aussi ses tristesses et ses inclémences. On y attrape des rhumes, des pneumonies et des coups de sabre. Les agents de police y reçoivent de mauvais coup et rédigent des rapports ; les deux choses sont cruelles pour ces hommes doux et illettrés.

Mais ces inconvénients n’affectent pas le plus grand nombre et ne sont que des ombre légères dans cet amusement public.

Le vice fondamental de l’émeute est que, si elle est annoncée à l’avance, elle est grandement contrariée par le gouvernement, et le spectacle en est alors décevant. Si, au contraire, elle éclate secrètement, ses plus beaux effets, tels que pillages de boutiques, barricades, bris de vitres, etc., sont perdus pour le plus grand nombre.

CHAPITRE IX
De l’émeute dans un prochain avenir

La dynamite, le panclastique et la nitro-glycérine tueront l’émeute, qui est bonne enfant de son naturel, se plaît aux chapeaux défoncés et aux yeux pochés, et répugne aux blessures mortelles et sévices graves, à moins qu’il ne s’agisse de jeter à l’eau un agent de police en bourgeois. Au reste, il importe peu qu’il y ait erreur. Vous ou moi, quiconque on lui désigne.

À la première bombe jetée sous les pieds des chevaux de la garde républicaine, adieu l’émeute !

On n’ira plus la voir.

C’est pourquoi les anarchistes me semblent gens à tuer l’émeute.

CHAPITRE X
Pourquoi un gouvernement doit préférer l’insurrection à l’émeute

La pire chose qui puisse arriver à un gouvernement, c’est l’émeute : l’insurrection est plus effrayante, mais elle est moins dangereuse. La raison en est que l’insurrection est une attaque, et que le gouvernement se défend quand on l’attaque. Le plus souvent,il se défend mal, parce que l’Etat accomplit presque toujours d’une manière pitoyable les actes qui ne sont pas habituels et pour ainsi dire automatiques. Mais enfin, on peut se défendre mal sans inconvénient quand on a été encore plus mal attaqué : ce qui est le cas ordinaire. Au cas contraire, l'émeute n’étant pas une attaque, il est impossible de se défendre contre elle.

Sa force est dans le désordre qu’elle produit. Or, rien n’est plus propre à accroître ce désordre que les mouvements tumultueux des agents et des soldats qui concourent à la répression. Les troupes forment les faisceaux sur les trottoirs, et les chevaux des municipaux mordent l’écorce des arbres. Cela fait partie de l’émeute et la grossit d’autant.

CHAPITRE XI
De la répression

Aussi, tous les gouvernements, même les plus aveugles, ont-ils redouté l’émeute. Pour la combattre, ils ont employé les moyens les plus divers.

La reine Sém