Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

couple d’heures. Les restes de la table furent distribués par jointées à de nombreux soldats qui, debout, avaient assisté au repas ; quelques-uns étaient en loques ; ils reçurent cette pitance en s’inclinant et la dévorèrent sur place. Assister ainsi au repas du maître, est pour ces hommes une grande marque de faveur ; on les appelle compains ou commensaux ; ils ont l’espoir de gagner un jour par leurs services le droit de s’asseoir à cette même table, et de devenir ainsi les compagnons ou comites du Prince, dans l’acception usitée au Moyen-Âge. Enfin, un prêtre se leva et dit les grâces ; les femmes du service de l’hydromel enlevèrent leurs amphores vides ; on emporta la table, et l’huissier fit évacuer la maison, à l’exception de quelques convives favoris, formant le cercle intime. Les pages prennent alors le service ; un huissier reste à l’intérieur, mais chargé seulement de la porte ; une femme de confiance tient l’amphore d’hydromel qu’elle ne verse plus que pour la soif du maître ou de ceux à qui il accorde nominativement un pareil honneur. La conversation devient familière, les rangs sont oubliés, et d’ordinaire règne la plus franche gaîté.

Malgré un certain désordre apparent, les repas sont conduits d’après une étiquette rigoureuse qui ne subit que des modifications légères, imprimées par les habitudes particulières du maître. Prendre sa nourriture est pour l’Éthiopien une grosse affaire, et, comme nous aurons occasion de le voir dans la suite, de la façon dont il envisage tout ce qui peut y avoir trait, résultent les coutumes, les usages, les mœurs de son pays et leur identité ou leur analogie avec ceux de la Judée, de la Grèce antique et du moyen-âge en Europe.

Mon drogman fut mandé ; je devins naturellement le centre de l’attention. Mais, avec son tact parfait, le