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DOUZE ANS DE SÉJOUR

une petite file de piétons. J’allai avec mes deux cavaliers les reconnaître : c’était une trentaine de messagers et de gens pressés par leurs affaires, qui afin de ne point tenter la cupidité des paysans, voyageaient sans armes et vêtus de haillons ; ils se dispersèrent pour aller se cacher dans les fourrés. Voyant parmi eux un Européen, qui arpentait résolument le terrain, je lui coupai la retraite, et je ne fus pas peu surpris de reconnaître maître Domingo, le domestique basque de mon frère, que j’avais laissé à Gondar. Nous fûmes aussi contents l’un que l’autre de nous retrouver. Pour la première fois, depuis longtemps, je pus entendre parler le français, mais, dans les premiers instants, ma langue déshabituée me refusa son service si ce n’est en amarigna. Les bruits les plus extravagants couraient à Gondar sur mon compte : les uns disaient que j’étais parmi les blessés, d’autres parmi les morts ; tous donnaient à mon aventure une tournure faite pour alarmer mes amis. Afin de fixer ses incertitudes, et, s’il était possible, d’atteindre notre camp, le bon Domingo avait profité de cette petite caravane, en ayant soin de s’affubler de la façon la plus misérable.

Le Dedjadj Birro s’était établi à Kobla, dans le Dambya, sur un mamelon pierreux qu’entouraient les campements de ses chefs ; il n’avait guère avec lui plus de 12,000 hommes. En entrant dans le camp, je ne pus m’empêcher de regretter celui de Monseigneur, où le dernier goujat m’accueillait du geste ou du regard. Ici, j’étais presque un étranger : au lieu de pénétrer librement jusqu’à la tente du chef, je dus subir la filière des huissiers de service ; mais l’empressement avec lequel l’un d’eux vint me prier d’entrer, allégea ma pénible impres-